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08/05/2017

Levee de fourches: recension (24 octobre 1942)

Avec cette recension de Levée de fourches, parue dans le journal COMŒDIA du 24 octobre 1942, nous complétons la publication de quelques recensions parues dans les années trente et quarante, et trouvées sur le site de la Bibliothèque Nationale de France [ http://gallica.bnf.fr/ ]. Ces recensions viennent compléter celles déjà publiées sur le site :

Wer_einmal_aus_dem_blechnapf_frisst (30 juin 1934)

Wiir_hatten_mal_ein_kind (26 janvier 1935)

Loups_parmi_les_loups (13 septembre 1941)

Vieux_coeur_en_voyage (21 avril 1942)

Le_roman_du_prisonnier (1939)

Premieres recensions

Loup_parmi_les_loups

Etc.

Tous ces articles contribuent à éclairer ce que fut la réception en France des livres de Hans Fallada, au moment de leur parution. Contribution certes fort incomplète – il faudrait fouiller plus largement dans les archives des journaux et plus spécialement les rubriques littéraires – mais qui néanmoins donne déjà une idée. Pour bien faire, il faudrait aussi comparer ces recensions avec celles des livres des autres auteurs pour les lire dans leur contexte et nous éviter des erreurs d’appréciation.

Par exemple, la recension qui suit – non seulement assez marquée politiquement – ne prend pas en compte, et pour cause, ce que des études ultérieures – et nous pensons plus particulièrement à l’étude de Michèle Le Bars, Le mouvement paysan dans le Schleswig-Holstein 1928-1932.[1] – ont révélé : la part prise par le journaliste Rudolf Ditzen (Tredup dans le roman), dans la chronique de ce mouvement et plus particulièrement lors du procès des paysans de Neumünster (Altholm dans le roman). Les liens très fort entre la vie de Fallada et ses romans, et ce roman en particulier, leur donnent un relief particulier, sur fond autobiographique, que le chroniqueur de 1942 ne pouvait sans doute pas soupçonner.

Mouvement paysan (Le Bars).jpg

Alain C. [8 mai 2017]

oOo 

COMŒDIA – 24 octobre 1942

BIBLIOTHÈQUE EUROPEENNE

par André MEYER

Levee Fourches.jpg

 

HANS FALLADA : LEVÉE DE FOURCHES

(Coll. « Les maîtres étrangers », Sorlot, édit.)

FALLADA est, de tous les écrivains allemands, celui qui remporte actuellement les plus gros succès à l’étranger. Abondamment traduits dans presque toutes les langues, ses romans ont trouvé partout un nombre considérable de lecteurs. En France, Le roman d’un prisonnier[2] et Et puis après[3] passèrent presque inaperçus. En revanche, Nous avions un enfant[4] et surtout Loup parmi les loups[5] et Vieux cœur en voyage[6] atteignirent des tirages flatteurs.

***

Levée de fourches est le sixième roman de Fallada traduit en français. Ecrit en 1930, il parut en 1931 chez Rowohlt, sous le titre : Bonzen, Bauern und Bomben (Des bonzes, des paysans et des bombes). Il est donc chronologiquement antérieur à ceux qui nous ont été présentés jusqu’ici. On a le regret de dire qu’il leur est aussi très inférieur.

Le sujet choisi contenait sans aucun doute le germe d’un grand roman. Quelle puissante fresque historique et politique on pouvait brosser en prenant pour thème la misère et les souffrances des paysans allemands brimés par le fameux « système »de la république de Weimar. Dans sa préface, Fallada déclare qu’il s’est inspiré, en les modifiant, de faits qui ont eu lieu réellement dans une certaine région de l’Allemagne. Cette région, c’est la Poméranie ! nous savons que les paysans poméraniens étaient précisément de tous les plus arriérés, donc les plus malheureux. D’autre part, Fallada, natif du proche Mecklembourg, et qui dut lui-même un certain temps travailler la terre, apparaissait très qualifié pour porter un témoignage sur la question.

Mais au lieu de la fresque espérée, il s’est borné à nous donner une anecdote qu’il a eu le mauvais goût de nous conter en six cents interminables pages. Il nous décrit par le menu les diverses péripéties d’une querelle stérile qui, à la suite d’une manifestation brutalement dispersée par la police, oppose pendant plusieurs mois les habitants d’une ville de Poméranie (dont le nom :Altholm est inventé) aux paysans du district. Et comme il néglige de nous intéresser vraiment au sort des paysans, l’intérêt du récit languit. Pour tenir malgré tout la curiosité du lecteur en éveil, Fallada doit alors recourir aux procédés classiques du roman-feuilleton : une douzaine d’intrigues s’entrecroisent sans arrêt, les coups de théâtre succèdent aux coups de théâtre, les bagarres aux rencontres mystérieuses, et quelques intermèdes érotiques viennent pimenter le tout.

***

On se rappelle la belle préface qu’Alphonse de Chateaubriant avait donnée à Vieux cœur en voyage.[7] « Le nom de Fallada, y était-il dit, est le nom d’une charmante avenue humaine, est le nom d’un très séduisant pays d’aventure, est le nom d’un délicieux jardin enchanté. Fallada est poète, poète, poète… » Exprimons le vœu que M. de Châteaubriant n’ouvre pas Levée de fourches ! Sa déception serait trop amère. Il découvrirait un Fallada tout différent de celui qui sut un jour le charmer ; le « poète » lui apparaîtrait sous l’aspect d’un naturaliste de l’espèce la plus grossière, un de ceux qui, sous prétexte de ne rien embellir, croient nécessaire de tout barbouiller avec de la fange.

Ce roman exhale une odeur nauséabonde. Les personnages sont presque tous couverts de boue de la tête aux pieds. « Oui, nous sommes des cochons, dit l’un d’eux, nous sommes tous des cochons. Le jour, on court de-ci, de-là et on fait les mêmes cochonneries que les autres, mais la nuit, quand on est resté longtemps dans les brasseries et que l’alcool vous monte au cerveau, on voit ce qu’on est cochon, moi, toi, tous ! »Il faut avoir le cœur solide et du temps à perdre pour s’intéresser à cette histoire de cochons.

***

Pourtant, Levée de fourches présente un certain intérêt documentaire. On imagine fort bien qu’en lisant ce livre en 1931, l’Allemand moyen qui ne fréquentait ni les réunions nationales-socialistes ni les meetings communistes se soit écrié :« Comme c’est vrai ! Comme voilà bien la vie ! » Les bonzes n’étaient pas les uniques responsables de la gabegie qui régnait dans l’Allemagne weimarienne. Mais la satire que nous en présente Fallada est assez réussie. Et on approuve le journaliste Stuff quand il déclare au bourgmestre social-démocrate Gareis : « Je ne peux vous souffrir, car vous êtes pour moi l’incarnation de ce que je considère comme devant amener l’Allemagne à sa perte. Vous pouvez avoir le désir d’effectuer un travail sérieux, vous pouvez le faire en toute bonne foi ; il est impossible que vous y parveniez. Vous êtes un bonze et vous resterez un bonze. Vos plans, vos intentions les plus honorables sont constamment méconnus et faussés par un parti qui a inscrit sur sa bannière la lutte contre toutes les autres classes ! » Pourquoi faut-il que cette attaque, pourtant bénigne, soit presque sans portée puisque celui qui la formule s’est rendu lui-même coupable « de subordination de mineures, de parjure, de provocation à l’avortement et de concours personnel à celui-ci » ? On pourrait croire que par cette peinture noir sur noir, Fallada ait eu le désir d’éveiller chez le lecteur un sentiment de dégoût si vif qu’il sente avec force la nécessité d’en finir à tout prix avec un tel état de choses. Levée de fourches eût été ainsi, indirectement, un livre révolutionnaire. Mais il n’en est pas ainsi. Fallada se montre impitoyable pour le seul personnage qui fasse un effort pour « sortir de toute cette fange et de tout ce mensonge, pour être de nouveau un honnête homme, ne plus avoir la conscience lourde ». Au moment où le misérable Tredup va déterrer de sa cachette l’argent qui doit lui permettre de vivre honnêtement avec sa femme et ses enfants, un paysan l’assomme, par erreur, d’un violent coup de gourdin. Quant au bonze Gareis. il est en somme plus malin que tout le monde. Quand il a dû finalement céder la place et quitter la ville, les habitants constatent avec mélancolie :« Gareis était un cochon, mais il faisait quelque chose. Manzow (son successeur ) est un cochon et ne fait rien. Altholm n’a pas gagné au change. » Ainsi le lecteur a le droit de trouver que tout va mal, mais il faut qu’il sache qu’il n’y a pas de remède à ses maux. Il a le droit d’estimer que ceux qui le gouvernent sont des cochons, mais il doit être persuadé que les remplaçants ne vaudront pas mieux.

Pour comble de malheur, la traduction de Levée de fourches est fort mauvaise. Sans doute c’eût été peine perdue que d’accorder beaucoup de soin à un texte aussi décevant, mais certaines bévues monumentales auraient du être évitées. On constate, par exemple, avec effarement que le mot « Kittchen » qui désigne la prison a été pris pour un nom de ville[8] et qu’on a remplacé le salut« Bonne chasse ! » par un « Vive Weidmann ! »[9] pour le moins saugrenu.

***

Le cas malheureux de Levée de fourches ne doit pas nous conduire à condamner en bloc tout l’œuvre de Fallada. La lecture d’un roman tel que Loup parmi les loups était précieuse en ce sens qu’elle nous permettait de mesurer l’incroyable énergie qui fut nécessaire pour relever l’Allemagne du gouffre dans lequel elle avait plus qu’à demi sombré. D’autre part, Fallada possède un indéniable talent de conteur et quand il se cantonne dans le domaine qui lui est propre, celui de l’enfance et de la fantaisie, il réussit des choses charmantes qui s’appellent :Vieux cœur en voyage, ou, tout récemment, Damals bei uns daheim (Autrefois, chez nous, à la maison).

Mais qu’on nous fasse grâce désormais de ces « levées de fourches » ! La crise actuelle du papier devrait forcer les éditeurs à se montrer plus sévères que jamais dans le choix des auteurs étrangers qu’ils entreprennent de faire connaître. On ne peut leur faire grief d’exploiter, en bons commerçants, le succès d’un auteur qui a percé. Mais à condition qu’ils ne s’en tiennent pas là. Ils ont le choix entre plusieurs douzaines de romanciers allemands qu’il y aurait intérêt à présenter au publie français. C’est dans les romans de Friedrich Griese et non dans les « Levée de fourches » qu’on voit vivre les paysans du Mecklembourg et de la Poméranie. Il ne faudrait pas que les écrivains spécifiquement allemands soient négligés sous prétexte que seuls trouvent un bon accueil à l’étranger ceux qui, en raison de leur manque de caractère et de profondeur, sont aisément accessibles à tous les publics.

 

Notes 

[1] Peter Lang, Bern, 1986. (ndlr)

[2]Gallimard, édit. [(sic ! le titre correct est Le roman du prisonnier – ndlr.]

[3]Gallimard, édit.

[4]Albin Michel, édit.

[5]Albin Michel, édit.

[6]Sorlot, édit.

[7] Voir sur ce site : preface-a-vieux-coeur-en-voyage [ndlr]

[8] Voir page 200 : « (…) et aujourd’hui même ils ont emmené Rohmer à Kittchen. » – il semble s’agir de la seule erreur de traduction. Notre chroniqueur aurait pu également remarquer la faute de frappe « Rohmer » au lieu de Rohwer ». [ndlr].

[9] Page 328 : « Bien, dit Padberg, vive Weidmann ! » – d’autant plus curieux que le nom de ce Weidmann n’apparaît nulle part dans le roman. Une rapide recherche sur la grande toile ne nous a pas permis de retrouver cette expression « vive Weidmann ! ». [ndlr]

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Identifiant : ark :/12148/bpt6k7653589n

Relation : http ://catalogue.bnf.fr/ark :/12148/cb32745939d

Provenance : Bibliothèque nationale de France