22/04/2017
Wir hatten mal ein Kind - Recension 26 janvier 1935
Les Nouvelles littéraires, artistiques et scientifiques : hebdomadaire d’information, de critique et de bibliographie – 26 janvier 1935
L’ACTUALITÉ LITTÉRAIRE A L’ÉTRANGER
Le dernier roman de Hans Fallada.
Le nouveau roman de M. Hans Fallada, Wir hatten mal ein Kind (Rowohlt Verlag, Berlin) représente un nouveau départ dans l’œuvre de cet écrivain, que le succès n’enferme pas dans un genre, et qui se transforme, au contraire, dans chacun de ses livres, comme si la puissance de ses métamorphoses était illimitée. Son précédent roman, on s’en souvient, nous racontait l’histoire d’un pauvre diable qui, pour avoir été une fois en prison, n’avait pu échapper à ce destin tragique : que celui qui y a été doit y revenir. Le livre s’achevait avec cette nuance d’optimisme particulière à M. Hans Fallada, en ce que le héros du livre, las de toutes les vicissitudes que lui avait apportées la liberté, retrouvait presque avec soulagement la cellule où il allait être, enfin, tranquille.
Cela est très caractéristique de cette philosophie de la vie que nous trouvons dans tous les romans falladiens. L’auteur décrit sans ménagement toutes les duretés, toutes les amertumes de l’existence, il aime nous présenter ses héros comme de pauvres diables ballottés par les vagues du destin, victimes des forces inconnues qui poursuivent malicieusement les hommes, pliant le dos avec résignation. Mais le rachat de cette résignation réside en ce fait que ces êtres acceptent la vie : sans grandiloquence, sans « héroïsme » stoïque, mais avec une bonne humeur, sans laquelle il est facile de reconnaître une certaine nuance d’héroïsme aussi. Ils se défendent par leur confiance, par leur bonté ingénue, par cette sorte de candeur où se cache parfois une ruse inconsciente. Les Pinneberg, de Kleiner Mann, was nun? dégringolaient tous les degrés du malheur, de chute en chute, avec un sourire et un baiser qui rachetaient tous leurs déboires. Cela est vrai ; cela pourrait être vrai. Pour Fallada, en tout cas, cette attitude devant l’existence est, en définitive, le meilleur moyen de salut, puisqu’il préserve des atteintes de l’infortune ce domaine intérieur de l’individu où ne peut, alors, entrer le désespoir.
C’est une philosophie semblable que nous trouvons dans le dernier roman de Fallada, qui est, peut-être, son œuvre la plus importante. On nous dit que c’est de tous ses livres, celui qu’il préfère (ce qui n’est pas toujours une raison pour que ce soit le meilleur), mais cette préférence se justifie fort bien, si l’on sait reconnaître que son art et sa philosophie de la vie – je ne crains pas de répéter ce mot – ont rarement atteint, ensemble, un aussi haut sommet. Voici un roman qui peut nous donner une idée de la perfection, en ce que la sûreté de la technique ne contraint jamais l’émotion, ne limite jamais la spontanéité. On voudrait en louer la construction, mais on devrait alors la vanter comme on ferait de celle d’un arbre, tant il y a de vigueur et de vitalité organique dans ce livre.
Le décor campagnard est merveilleusement adapté à cette sève paysanne qui depuis Bauern, Bonzen, und Bomben, n’avait plus eu l’occasion de s’épanouir, et que nous retrouvons ici, aussi fraîche, aussi généreuse, aussi intacte. Illuminé d’une poésie tendre et vraie, tout ce récit apparaît tantôt pénétré d’une expression épique de la nature tantôt bercé par cette verve ironique et bon enfant, qui est comme le sourire même de Fallada. Et ici, comme dans ses autres livres, ce qui rayonne, au-dessus de l’anecdote et de la psychologie des personnages, c’est cette humanité, profonde, chaleureuse, cette puissance de sympathie et de compassion qui – n’exclut pas la clairvoyance, et permet même la satire, – parce que l’amour de la nature et l’intelligence des êtres, la pitié aussi, qu’on éprouve pour leur destin, sont les véritables chemins qui conduisent vers les vérités essentielles. Dans un livre comme Wir hatten mal ein Kind, écrit avec le cœur tout autant qu’avec l’esprit, le talent de Fallada s’est totalement réalisé à tel point que certains de ses livres précédents nous semblent presque des « exercices », des essais, quand on les compare à cette œuvre profondément émouvante et d’un art si exquis.
Marcel BRION.
Source : Bibliothèque nationale de France
Identifiant : ark :/12148/bpt6k64522159
08:21 Publié dans Bibliographie, Recensions, Textes sur Hans Fallada | Lien permanent | Commentaires (0)
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