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18/06/2023

Nous avions un enfant (recension - 16 mai 1942)

Ci-dessous un recension du roman de Hans Fallada, Nous avions un enfant, par Louis  Fournel. Cette recension a paru dans l'édition du 16 mai 1942 de L'Union Française, "hebdomadaire d'action pour une nouvelle France dans la nouvelle Europe".   

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L’UNION FRANÇAISE

16 mai 1942 – Numéro 76

 

Le mouvement littéraire

« Nous avions un enfant »

par Hans Fallada

 

LA savoureuse histoire de Johannès Gaentschow, fils du paysan Malte Gaentschow, est inoubliable dans ses grandes lignes, comme dans ses moindres détails. Jamais Hans Fallada n’a fait preuve d’aussi précieuses qualités de poète et n’a prodigué, avec une telle sûreté, ses dons de créateur.

Dès les premières pages d’un livre imposant, tant par le nombre de ses pages que par la densité de sa matière, le lecteur ébloui fait amitié avec les ancêtres et le père de Johannès, ce petit paysan qui étudie chez le pasteur du village, en compagnie de la jeune Christiane, baronne de Fidde.

Le singulier contraste, formé par deux enfants de condition et de nature si différentes, pique la curiosité du lecteur. Le sauvage Johannès, rustre mal lavé et pus du tout peigné, a beaucoup de peine à s’habituer à Christiane, délicieuse petite fille portant des robes neuves et propres.

Une promenade sur la glace, qui se terminerait de tragique façon sans l’intervention du contrebandier Bullenberger, rapproche ces deux enfants que le destin se plaira à unir plus tard dans de communes souffrances.

La vie trépidante et pure de Christiane, dite Tia, et de son ami Johannès, est d’une séduction sans violence. Le sauvetage de Bullenberger par les deux adolescents et leur dévouement quotidien et secret à nourrir et soigner ce bandit blessé sont des modèles de présentation harmonieuse et pénétrante. L’énigmatique séjour de l’ennemi des contrebandiers et de la maréchaussée au château de Fidde, se termine tristement. Christiane malade quitte brusquement son ami et les paysages de son enfance.

Johannès passe alors trois années dans une petite ville de Poméranie et fait connaissance avec les difficultés de l’existence. Il travaille d’abord dans un atelier de réparation de chemins de fer, puis entre à l’école d’ingénieurs-mécaniciens de Stettin. Pour satisfaire ses besoins de soleil, de grand air et de liberté inhérents à ses vingt ans il quitte bientôt ce triste lieu et s’en va au gré de sa fantaisie sur les grandes routes du monde. Il rencontre en Hollande une troupe de jeunes lycéens grattant guitares et mandolines et chantant sur les places publiques de vieux airs populaires allemands. La vie insouciante et sans argent continue pour Johannès jusqu’au moment où les microbes de la fièvre typhoïde, devenant « maîtres de son corps gigantesque, mettent fin à ses rêves d’indépendance ».

L’enfant prodigue revient au bercail et comprend alors qu’il ne doit pas résister à sa vocation de terrien. Avant d’être un paysan libre, il accepte les fonctions d’administrateur dans un vaste domaine de Basse-Poméranie. Par une pluvieuse journée d’automne, l’énergique, l’infatigable Johannes, fait la connaissance de la charmante Elise Schiltt, institutrice du village. Après de très longues fiançailles, ces deux êtres de natures si différentes, prennent en se jouant la décision d’unir leurs destinées. La jeune Elise, opprimée par une mère tyrannique, traitée de petite sotte par une sœur orgueilleuse, s’accommode fort bien d’une vie étroite en compagnie de Johannes. Elle aime d’un amour Infini son mari ombrageux, solitaire et dont le caractère extrêmement difficile lui réserve maintes surprises. Johannes attend joyeusement l’enfant que va lui donner Elise, lorsqu’une fausse couche, provoquée par un stupide accident, suscite en lui une douleur profonde et une rage désespérée. C’est à ce moment qu’une lettre du maire de Fiddichow annonce h Johannes Gaentschow le double décès de son père et de son frère et la ruine presque complète de l’exploitation familiale.

Pour la seconde fois, l’enfant prodigue arrive dans la maison de sa jeunesse et relève courageusement une ferme ruinée par l’incurie maternelle. Durant tous ces mois de dur travail commun. Elise aide son mari à la réalisation de tous ses plans et l’on constate même une sensible amélioration dans leurs rapports quotidiens. En allant voir le tombeau de son père dans le vieux petit cimetière communal, Johannes rencontre Christiane qui n’a jamais cessé d’occuper son esprit.

« Oh ! Hannes ! Hannes ! Tu es donc toujours rétif comme un bélier, et, au risque de devenir la risée du pays, il faut que je coure après toi dans ma robe à traîne. Oh ! Hannes, qui aurait pensé, il y a quatorze ans, que l’on se retrouverait ainsi ! » Et voilà maintenant qu’elle pleure pour de bon.

— Christiane ! Tia ! dit-il d’une voix blanche, mais c’est plutôt un mouvement des lèvres qu’un langage. Tia ! ô mon Dieu ! Et il la regarde fixement.

Johannes a constamment évoqué la fillette qui avait seize ans lors de leur séparai ion ; mais c’est une belle femme qui lui apparaît. Il croit voir une sœur aînée de sa compagne de jadis, une sœur plus mûre, plus belle, plus charmante. Et le prénom aimé de Tia ne résonne plus que comme un écho des temps évanouis. Dès la première minute, Elise Comprend que l’inévitable vient de se produire. Elle cherche dans l’alcool l’oubli de son chagrin et de sa lancinante jalousie. Christiane, qui a supporté autrefois la mauvaise humeur, l’entêtement et le caractère impérieux de Johannes, l’aimé depuis toujours, sans se l’avouer à elle-même et, sans le confier à Wendland son mari.

Maintenant, qu’il est assis à côté des Wendland, Johannes oublie Elise et la ferme, Warder. Tout, cela n’était plus rien et depuis longtemps avait cessé d’exister. Il ne s’y intéressait, plus. Jusqu’alors il lui était arrivé de penser à l’Elise d’autrefois, celle qui habitait la maison d’école de briques rouges. C’est bien fini maintenant. Peut-être la lui a-t-elle trop souvent rappelée dans ses entretiens, et dans toutes ses lettres avec un sourire qui paraissait surgir de l’ombre du passé.

Mais Tia ! Quelle différence ! Sa jeunesse fleurit toujours plus rayonnante que jamais et sur tous les sarments bourgeonnent les roses ! De quelle vitalité elle est douée ! Elle évoque ses souvenirs de classe :

« Mais oui, Hannes, personne mieux que toi ne pouvait prendre un air innocent quand tu proposais de faire une bonne farce. »

Christiane qui a quitté son mari et Johannes qui a abandonné sa femme, vivent désormais dans une humble maison au bord d’un lac du Mecklenbourg. Tiennes comprend soudain l’inutilité de sa vie et songe pour la première fois, depuis huit mois, à sa ferme de Warder. Il retourne donc une fois de plus au pays natal afin de permettre à Elise de s’éloigner et à Christiane de s’installer, mais son épouse, dans un dernier sursaut dé jalousie, a fait couper tous les arbres et a dépouillé Warder de tous ses meubles, de toutes ses récoltes et de tous ses instruments de travail.

Grâce à l’argent prêté par un usurier, Johannes, fils de cultivateur, redevient paysan et s’installe dans sa vieille maison familiale. Lui, qui est débordant de haine et de mépris pour l’humanité, « peut courber tendrement une fleur, en examiner la structure et, la laisser ensuite avec précaution reprendre sa position initiale. Il goûte la terre avec piété et un champ bien labouré le met en extase ». Au milieu des occupations journalières de Johannes, surgit à l’horizon de sa pensée l’image de Christiane, cette Tia qui fut la compagne de son enfance, l’amie de son adolescence et la femme aimée de l’âge mûr. Demain, Tia sera la mère choyée de son enfant. Par suite de la trop grande rapidité de l’accouchement, une hémorragie cérébrale emporte au royaume des ombres la petite fille de Gaentschow et de Christiane.

Sur la prière de Christiane et de son mari l Johannes regagne la ferme de Fiddichow, emportant dans ses bagages « une robe d’enfant toute neuve », ultime témoignage d’un grand amour et d’une vaine cruauté du destin. L’intraitable Gaentschow, dont « personne ne peut prévoir ce qu’il fera l’instant d’après », découvre trop tard qu’il peut « aimer, mais réduit à l’impuissance par les chaines qu’il s’est lui-même forgées ».

Voilà la charpente sur laquelle Hans Fallada a construit un monument, dont la sobriété n’a d’égale que l’élégance des lignes. Le moindre détail décèle la probité et l’intelligence. Rien n’est laissé au hasard dans ce roman harmonieux et émouvant. Pour bien marquer, par exemple, le caractère de son héros principal, Infidèle à lui-même’ dès qu’il entre en relations avec ses concitoyens, Hans Fallada se sert de la plus merveilleuse gradation. La première fois Johannes revient, de Hollande avec son père, la seconde fois avec Elise son épouse et la troisième fois seul, face avec son rude destin.

Malgré d’immenses défauts on ne peut s’empêcher d’accorder une amicale sympathie à Johannes Gaentschow. Son besoin d’ordre, son invincible confiance dans les saisons à venir nous ouvrent, la porte d’un royaume terrien où l’homme, par son finir et son intelligence, aide à l’épanouissement de la création. Par son travail, il vivifie comme Johannes Gaentschow dans sa forme la montée de la sève, et s’assure de pacifiques victoires sur la mère-nature.

Émile Henriot disait récemment, en parlant des ouvrages du solitaire Estaunié : « Une fois entré dans un de ses romans, ce n’est plus vous qui tenez le livre, c’est le livre qui vous tient et ne vous lâche plus par un accent de vérité irrécusable devant tout ce que ses complexes personnages ont en eux-mêmes qu’ils ignoraient et que le drame met au jour. » Si des romans comme L’ascension de M. Baslèvre ou Les choses voient sont des merveilles de séduction, d’agencement et de scènes aussi naturelles qu’imprévues, il est juste d’affirmer qu’un récit tel que Loup parmi les loups ou qu’une fantaisie poétique telle que Vieux cœur en voyage tiennent le lecteur en haleine jusqu’au dénouement.

Félicitons et remercions chaudement Paul Genty de nous avoir offert l’agréable et fidèle traduction d’un livre qui, dès 1934, attira sur son auteur l’attention des lettrés et du grand public allemand.

Chaque page de Nous avions un enfant porte la marque d’un illustre écrivain allemand trop longtemps ignoré en France. À nous de comprendre le capiteux mélange d’observations, de descriptions et d’évocations que nous offre chaque page d’un poignant récif où tous les caractères sont dessinés d’un trait juste. À nous de comprendre l’émouvante et apaisante leçon que toute œuvré d’art impose à un esprit, non prévenu.

Louis FOURNEL.

Nous avions un enfant, par Hans Fallada, traduction Paul Genty. Edition Albin Michel.

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