14/01/2023
Un grand romancier populaire, par Eugène Bestaux (9 septembre 1943)
Recension de Gustave de Fer parue dans L’UNION FRANÇAISE - Numéro 141 – 9 septembre 1943.
A l’occasion de son 50e anniversaire
Un grand romancier populaire
HANS FALLADA
par
EUGENE BESTAUX
Bien qu’il soit l’un des romanciers étrangers les plus connus en France, Hans Fallada, dont les Éditions Albin Michel viennent de publier Gustave-de-Fer, ne compte pas aux yeux de ses compatriotes parmi les meilleurs écrivains allemands d’aujourd’hui. Son style manque de noblesse et de pureté ; les sujets qu’il traite de préférence sont trop directement empruntés à la vie de tous les jours, trop anecdotiques, trop semblables à la biographie de l’auteur; ils n’ont jamais ce caractère d’universalité qui place sur un plan supérieur Eugénie Grandet, Don Quichotte, Les Affinités électives.
Fallada n’en mérite pas moins qu’à l’occasion de son cinquantième anniversaire on mette en valeur l’importance de son œuvre qui, bien mieux sans doute que les ouvrages les plus savants et les plus sérieusement documentés, pourra servir aux historiens et aux hommes qui, dans quelque vingt ans, chercheront à s’éclairer sur l’état d’esprit du peuple allemand pendant l’entre-deux-guerres. C’est qu’en effet, au don de voir et de retenir le moindre détail caractéristique aussi bien que le ferait le plus expérimenté des reporters, Fallada joint le talent de fixer noir sur blanc ce qu’il a gardé dans sa mémoire ou dans ses notes, en lui conservant toute sa vie, tout son coloris, tout son mouvement. Ses personnages sont vrais, authentiquement pris sur le vif et, pour cette raison inséparables de leur milieu et de leur temps. Avec une sorte de parti pris d’impartialité qui n’a sans doute pas peu contribué à lui conquérir les sympathies peut-être exagérées de certains lecteurs, il nous fait voir les hommes, les choses, les passions, les mœurs, les partis qui, successivement, de 1914 à nos jours, se sont succédé en Allemagne. Il peut paraître tiède ; il est en tout cas éminemment instructif. C’est un observateur qui, à la façon des romanciers naturalistes, s’applique à faire voir le monde contemporain comme il est.
Mais Fallada, quoi qu’en puisse en penser ou en dire tel lecteur superficiel, n’est pas un indifférent. Il ne se croit pas tenu de tirer la conclusion morale des scènes qu’il nous présente. Il suffira cependant de réfléchir un peu pour se rendre compte que c’est précisément parce qu’elle est impartiale que l’œuvre de Fallada nous offre un tableau vivant et significatif de l’époque où, dans l’Allemagne vaincue, les profiteurs politiques et les mercantis menaient leur train, loups prêts à tout dévorer, où, pour se libérer des exploiteurs et des manitous syndicalistes, — « les bonzes », — les paysans ne voyaient plus d’autre moyen que la levée de fourches. Maintes pages de Gustave-de-Fer et de Loup parmi les loups sont de nature à servir de leçon aux braves bourgeois imbéciles qui, de bouche à oreille, s’en vont annonçant chaque jour pour le lendemain la victoire du bolchevisme libérateur. Semblables aux personnages du plus populaire des romans de Fallada : Et maintenant, petit bourgeois ? il ne leur resterait, au cas où leur rêve se réaliserait, qu’à se laisser écraser par le destin qu’ils imaginent si différent de la réalité.
On a reproché avec quelque semblant de raison à Fallada de ne nous montrer que des héros obéissant aux forces extérieures sans jamais chercher à agir par eux-mêmes. Une fois seulement, -— dans Vieux cœur en voyage, — il nous présente un personnage essayant de se mettre en travers de la route où le sort s’apprête à broyer une petite fille ’innocente. Il le fait à contre-cœur, certes, car il ne demande, lui aussi, qu’à se laisser mener par la fatalité, cette déesse si sympathique aux âmes veules. Et il est tellement déshabitué de l’action qu’il s’en faut de bien peu que la chose ne tourne plus mal encore que s’il n’était intervenu. Pourtant, l’impression générale que donne l’œuvre de Fallada est positive. Par les personnages auxquels va sa sympathie sont, sans qu’il nous le dise, ceux qui, pareils à son Gustave-de-Fer, croient toujours « que la vie a un sens, qu’il faut continuer de vivre, en dépit des traverses ».
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La critique allemande s’est plu à rapprocher Fallada de Zola. Il y a du vrai dans ce jugement, à condition de ne l’accepter qu’avec des réserves. Zola est incontestablement plus puissant. Mais, son imagination romantique l’amenait presque toujours à sortir de la vérité pour entraîner son lecteur dans le domaine du colossal et du fantastique. Les mille et mille détails authentiques qu’il avait réunis finissaient par former un ensemble irréel; ses personnages, observés pourtant avec un souci profond de la réalité, aboutissaient à être hors de la vie. Fallada bien moins grandiose, et surtout visant bien moins haut, sait créer autour de ses récits une atmosphère plus vraie.
Pour rendre ses histoires à la fois simples et compliquées, il use d’un style extraordinairement difficile â rendre en traduction. Ses dialogues farcis d’argot et d’allusions perdent en français une bonne part de leur humour et de leur charme. M. André Meyer a déjà noté quelques-unes des nombreuses erreurs commises dans les adaptations des livres précédents.
Malgré cela, Fallada a eu en France de très nombreux lecteurs. Il le mérite. Certes, il faut se garder de le mettre au rang des plus grands. Il lui manque en particulier généralement l’art de finir ses livres. À ce point de vue Gustave-de-Fer fait heureusement exception. Mais la longue digression consacrée au voyage à Paris n’est qu’un amusant et sympathique hors-d’œuvre, qui ne prouve pas grand’chose en faveur du héros. Un de ses plus agréables romans, encore inconnu eu France, Les Femmes et le Rêveur, après un départ magnifique, se termine en queue de poisson. Pourtant — nous le répétons — on trouvera dans l’ensemble de cette production déjà nombreuse mais où manque encore le « chef-d’œuvre » qui mettra Fallada hors de pair, le portrait le plus vrai que nous puissions avoir de l’Allemagne de 1914 à 1940, à la condition de l’y chercher sans parti pris comme lui-même l’a tracé.
11:07 Publié dans Recensions, Textes sur Hans Fallada | Lien permanent | Commentaires (0)
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