02/12/2019
L’ŒUVRE - septembre 1943 - Gustave-de-Fer (recension)
L’ŒUVRE – 18 et 19 septembre 1943
LES LIVRES
Gustave-de-Fer, et autres romans
Le nouveau, et très long roman de M. Hans Fallada, qu’a traduit de l’allemand M. Pierre Vence, Gustave-de-Fer (1), c’est pendant la guerre de 1914 et jusque vers la fin de la première moitié de l’entre-deux-guerres, l’histoire d’une famille allemande, et aussi un peu l’histoire de la nation allemande.
Le personnage central est un vieux cocher berlinois, Gustave Hackendahl, dit Gustave-de-Fer, propriétaire en 1914 d’une trentaine de voitures, dur à lui-même, mais aussi dur aux autres, une sorte de tyran domestique qui veut mener les siens militairement, et qui ne réussit guère. De ses cinq enfants quatre « tourneront » fort mal ; seul, le dernier-né, par son affection, le dédommagera des autres. Au reste, grâce à son énergie, et à sa probité intransigeante, Gustave-de-Fer finira par décourager la malchance. Après être tombé dans la misère, après avoir même joué le rôle d’amuseur dans une botte de nuit, il se relève peu à peu, et imagine d’aller à Paris... en fiacre. Le projet est goûté du public. A Paris, les camarades collignons le reçoivent avec enthousiasme. Il devient une manière de célébrité. Puis, sur l’influence de son dernier fils, il se laisse peu à peu conquérir par les thèses politiques nouvelles.
Déjà, dans Loup parmi les Loups, M. Hans Fallada avait puissamment évoqué l’Allemagne d’après 1918. Gustave-de-Fer est, sur cette époque, un nouveau document que les Français, dans les circonstances présentes, sauront, mieux que jamais, comprendre. Voici, par exemple, quelques remarques qui pourraient être faites pour la France de 1943 : « ...Ils n’auraient dû former qu’un peuple ; mais des gouffres les séparaient, qui créaient des antagonismes... Et, par surcroît, d’une part les usagers des cartes d’alimentation, et d’autre part ceux qui se suffisaient et subvenaient à leurs besoins. Le terme « se suffire » était devenu une effroyable injure dans la bouche des frustrés réduits à leurs seuls tickets. Certains avaient de quoi se gorger à satiété : graisse, pain, pommes de terre, et ils ne s’en faisaient pas faute. Ils tuaient des porcs, ils abattaient veaux et moutons, confectionnaient du bon pain non frelaté, avec une bonne farine sans mélange, laissant mourir de faim, jeûner des femmes et des enfants... » Et de décrire, à côté des orgies dans les boîtes de nuit, les voyages souvent infructueux des citadins vers les fermes des banlieues...
Et qu’elle est actuelle aussi, cette réflexion d’un vieux maître de grec et de latin : « ...Je suis un vieux bonhomme, ma journée est achevée... Je calcule que j’ai ouvert à plus de mille jeunes gens l’accès du monde hellénique, mais les y ai-je vraiment initiés ?... Tant de valeurs se sont effondrées, qui nous furent chères et précieuses, à nous vos aînés, et tous les jours d’autres croulent. J’ai voulu me consoler en me disant : tu as enseigné plus de mille jeunes gens, tu les as introduits dans un monde de beauté, de courage viril, d’amour et de lutte... Mais s’il n’en est rien, si ce monde n’a aucun sens pour vous, la consolation est fallacieuse... »
oOo
René Gerin.
(1) Albin Michel
20:07 Publié dans Histoire, Textes sur Hans Fallada | Lien permanent | Commentaires (0)
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