10/07/2019
Le cauchemar (1947) - recension Les lettres françaises
Nous avons retrouvé cette recension du livre de Hans Fallada, Le cauchemar, (Editions du Portulan, 1947), parue dans Les lettres françaises.
Les lettres françaises, 7e année, numéro184, jeudi 27 novembre 1947.
LE CAUCHEMAR, par Hans Fallada
(Le Portulan).
Hans Fallada, dont nous avons appris la mort il y a quelques mois, est l’auteur, célèbre en Allemagne, de Kleiner Mann, was nun ? (Petit Homme, quoi maintenant ?) roman du « petit homme » allemand durant la terrible misère de 1923-1924. Il fut, pendant les douze années nazies, un de ces émigrés de l’intérieur, émigrés dans le silence, la rage et l’impuissance.
Beaucoup attendaient de Fallada, au lendemain de la défaite allemande, le tableau du chaos, plus prodigieux encore que celui de 1918, 1924, ou 1931-1932, du chaos du Berlin contemporain, des pauvres vies des petits hommes se débattant dans ce chaos. Le Cauchemar répond-il à cette attente ? C’est le récit de la vie de l’écrivain Doll (qui semble, en dépit des dénégations de l’auteur, être aussi un peu l’écrivain Fallada) et de sa femme, d’avril 1945 jusqu’à l’automne de cette même année. Mais c’est aussi beaucoup plus. « Ce livre, nous dit Fallada, est, au fond, le compte rendu d’une maladie, l’histoire de cette apathie qui, à partir d’avril 1945, s’est abattue sur la plus grande et la meilleure partie du peuple allemand... »
Ce récit, conduit avec les procédés de narration les plus classiques – ce qui, dans les premières pages, nous surprend un peu, habitués que nous sommes déjà, pour de telles peintures, aux techniques héritées de Dos Passos ou d’Hemingway – s’impose assez lentement à nous (peut-être peut-on en rendre responsable la traduction, qui semble paresseuse et relâchée ?). Mais une fois que nous pénétrons vraiment dans l’intimité déchirante de Doll et de sa femme, nous voilà possédés par cet univers hallucinant de déchéance, de misère, d’inconscience, de lâchetés.
Et puis, c’est la lente résurrection, après combien de rechutes, c’est l’espoir, vague et tellurique.
Il sera très difficile d’oublier ce livre émouvant, obsédant, dépouillé, tout baigné d’une amertume immense, et d’une immense tendresse conjugale, du grand écrivain antinazi Fallada. C’est, avec le Totenwald de Wuchert[1], et en attendant la traduction du sensationnel Stalingrad de Théodor Plivier, le plus pathétique témoignage qui nous soit arrivé d’Allemagne.
E. M.
[1] Pour Ernst Wiechert, [NDLR]
08:51 Publié dans Recensions, Textes sur Hans Fallada | Lien permanent | Commentaires (0)
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