13/03/2016
Recension d'un recueil de nouvelles
Du bonheur d’être morphinomane
Denoël, Collection Denoël & d’ailleurs, Paris, 5 novembre 2015.
Table des matières [1]
LES ADDICTIONS
Rapport objectif sur le bonheur d’être morphinomane (1925-30)
Trois ans sans être un homme (1925-33)
LES GARNEMENTS
Pourquoi tu portes une montre en nickel ? (1931)
Je cherche mon père (1944)
À LA CAMPAGNE
La méthode de Herr Tiedemann pour guérir les chapardeurs
La bonne prairie de Krüselin à droite (1934)
L’alliance (1925)
VIE DE COUPLE
Le fou d’enfants
La porte ouverte (1932)
Comme il y a trente ans (1932)
AVEC LE PETIT HOMME
Avec un mètre-ruban et un arrosoir (1932)
Le mendiant porte-bonheur (1932)
Le complexe faillitaire
Je trouve du travail (1932)
Cinquante marks et puis joyeuses fêtes de Noël (1932)
Joie et tristesse (1932)
VOYOUS, TRUANDS ET AUTRE VOLEURS
De la longueur de la passion (1925)
Histoire de voyous (1928)
Schuller a de la chance
Un homme en fuite
Le cambrioleur qui rêvait de sa prison (1931)
Le dernier livre de Hans Fallada publié chez Denoël en novembre 2015 est un recueil de nouvelles, choisies et traduites par Laurence Courtois. Les vingt et une nouvelles qui composent ce volume sont tirées des recueils de nouvelles parus en Allemagne :
* Sachlicher Bericht über das Gluck ein Morphinist zu sein (Aufbau-Verlag, Berlin, 2009 (mais publié pour la première fois en 1997 par Aufbau-Verlag sous le titre Drei Jahre kein Mensch. Erlebtes, Erfahrenes, Erfundenes)
* Gute Krüseliner Wiese rechts (Aufbau-Verlag, Berlin, 2009) (mais publié pour la première fois en 1991)
Parmi ces nouvelles, dix-sept sont inédites en français. Pour les quatre autres, trois, La bonne prairie de Krüselin à droite, Joie et tristesse et Schuller a de la chance furent traduites par Edith Vincent, sous des titres similaires : Le bon pré Krüselin ! à droite, Gaieté et tristesse et Le bonheur de Schuller et ajoutées au roman Deux tendres agneaux, paru en 1943 chez Fernand Sorlot [2]. La quatrième, traduite par Marie Bouquet, fut publiée dans le recueil de nouvelles Perdus / Trouvés, Anthologie de littérature oubliée, paru chez Monsieur Toussaint Louverture (Toulouse) en 2007, sous le titre Je cherche mon vieux.
Ceci dit, vu la difficulté d’accès à ces nouvelles, les retrouver ici et qui plus est dans une nouvelle traduction ne peut que satisfaire les amateurs. On les lit avec un plaisir renouvelé.
D’aucuns ont reproché aux éditions Denoël le titre un tantinet accrocheur. Si la nouvelle Rapport objectif sur le bonheur d’être morphinomane est très certainement une des plus poignante de ce recueil, elle reste pourtant comme à part du fait de sa densité et comme isolée par rapport aux thèmes des autres nouvelles. Alors pourquoi ce titre ? Sans être dans le secret des discussions qui ont conduit à ce choix, je pense que, tout simplement ce titre s’inspire titre d’un des recueils paru en allemand (Sachlicher Bericht über das Gluck ein Morphinist zu sein). Cela fait sens en permettant de créer un lien entre les deux éditions, comme une continuité, comme une cohésion entre l’œuvre original et l’œuvre traduite. Peut-être aurait-il fallu tout simplement rajouter en sous-titre : « et autres nouvelles »? Mais ceci n'est pas bien grave.
Jenny Williams dans la préface à Tales from the Underworld, (Penguin Classics, London, 2014) rappelle que Hans Fallada publia près de quatre-vingt dix nouvelles durant sa vie, dont la première, L’alliance, dans Die Große Welt, vol. 2. Du 17 août 1925. De toutes ses nouvelles, c’est La bonne prairie de Krüselin à droite dont Fallada dira que c’est sans doute la meilleure.
D’autres nouvelles sont intéressantes pour suivre le travail préparatoire à des romans ultérieurs. Ainsi, Le cambrioleur qui rêvait de sa prison préfigure les aventures de Kufalt, dans Le roman du prisonnier (Gallimard, 1939). La nouvelle La porte ouverte sera reprise, sous forme abrégée dans le chapitre IV de Nous avions un enfant (Albin Michel, 1941). Enfin, Joie et Tristesse peut-être vu comme une forme primitive mais radicalement différente d’un épisode à la fin de Quoi de neuf, petit homme ? (Denoël, 2007 ou bien Gallimard, 1933 sous le titre Et puis après ?), où le protagoniste et sa famille se retrouvent à vivre illégalement dans un lotissement à la périphérie de Berlin. Une comparaison des deux versions montre que Fallada a choisi une fin plus conventionnelle pour le roman, un choix qui ne manqua pas de contribuer, de manière significative à son succès. »
La postface de la traductrice, A hauteur d’homme, complète utilement le recueil en montrant en quoi les nouvelles reflètent, plutôt qu’une époque, des épisodes de la vie de l’auteur : la vie à la campagne dans ses jeunes années, comme régisseur ou il multiplia les malversations et subit des peines d’emprisonnement, durant lesquelles il lui fut donné fréquenter voyous, truands et autres voleurs. Les histoires de garnements et celle de la campagne lui ont aussi été inspirées par les scènes de la vie quotidienne à Carwitz, où il s’installa en 1932 et où il fut témoin de toutes sortes d’histoires de village. En fin observateur, il n’en manqua pas d’en tirer des sujets pour ses nouvelles et ses romans. Quand aux nouvelles autour de la vie de couple ou « avec le petit homme » elles lui furent directement inspirée par son mariage et ses débuts comme employé de commerce, au moment de la crise économique de 1929 et avant de rencontrer le succès, en 1932, avec Quoi de neuf petit homme ?
Dans un entretien radiodiffusé, en 1946, Hans Fallada déclara : « Absolument tout dans ma vie finit dans mes les livres ». On peut le constater en lisant ces vingt et une nouvelles, qui offrent comme une vue kaléidoscopique – sinon panoramique – de la vie de Hans Fallada. Ces nouvelles parlent sans doute mieux que n’importe quelle autobiographie… car si le tragique, les drames sont présents et parfois au point de nous attrister, il nous reste toujours le moyen d’échapper au spleen en se disant qu’après tout, ce ne sont là que des contes…
Alain C. [mars 2016]
Note:
11] Quand nous la connaissons, nous indiquons entre parenthèse la date de la première parution, en allemand.
[2] Ces nouvelles sont disponibles sur ce blog (utiliser la fonction "Rechercher" en haut à gauche).
18:50 Publié dans Actualité, Recensions, Textes sur Hans Fallada | Lien permanent | Commentaires (0)
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