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01/02/2014

Revue Commune 1935 : Et demain?

Dans le n°18 de la revue Commune, datée du 17 février 1935, paraît une recension du film de Frank Borzage : Little Man, what now ? inspiré du roman de Hans Fallada.

Commune était la revue de l’Association des écrivains et des artistes révolutionnaires (A.E.A.R.) [ça ne s’invente pas !], dont le comité directeur était composé de : Henri Barbusse, André Gide, Romain Rolland, Paul Vaillant-Couturier. Les secrétaires de rédaction étant : Louis Aragon et Paul Nizan.

Cette revue se présentait comme une revue de combat et prônant la révolution prolétarienne (Cf. l’encart ci-dessous).

Commune 1935.jpg

Toujours dans la nuance, la même revue qui relatait, sous la plume d’Ilya Ehrenbourg, que les nazis eux-mêmes considéraient Hans Fallada comme « un écrivain pour les Juifs et pour les marxistes dégénérés. » (Voir Commune, n°10, juin 1934) en vient ici à se demander si Hans Fallada ne serait pas passé au national-socialisme, tout en laissant courageusement la question en suspens… Passons.

La rédaction

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CINEMA

ET DEMAIN ?

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Comment élever un enfant avec 800 fr. par mois ? Que le cinéma américain en vienne à poser de telles questions, c est là un indice de la profondeur de la crise capitaliste outre-atlantique. Bien sûr on nous montrera finalement que l’enfant apporte avec lui, non seulement tout ce qu’il lui faut, mais encore une sorte de bénédiction sous la forme d’une régénérescence de son père; combien cela est faible cependant en comparaison du trouble créé dans la vie et dans l’âme de Hans Pinneberg par l’enfant qui va naître, puisque l’on refuse de faire avorter sa maîtresse.

Hans, petit employé de la province allemande, a pour idéal la tranquillité. Le monde peut bien aller son train, il en est inconscient; son univers à lui, commence à son patron et a pour centre Laemchen, sa maîtresse. Sans doute n’a-t-il pas toujours été un salarié, il conserve la mentalité de quelqu’un qui est son propre maître. Sa condition présente lui est pour ainsi dire étrangère, il s’y trouve supérieur et se réfugie en lui-même.

Mais voici que Laemchen est enceinte. Le monde extérieur devient inévitable, menaçant. L’honorable médecin que l’on est allé voir, semble incompréhensif et cruel, le patron, un marchand de grains, un peu rude mais pittoresque, devient cynique et haïssable. Il faut quitter la campagne pour la grande ville, renouer avec la belle-mère étrangère et odieuse, devenir vendeur dans un grand magasin, et attention au chiffre d’affaires, attention au renvoi, cauchemar perpétuel du chômage, de la misère. Enfin l’enfant.

Adieu le petit univers bien clos. Comme le disait le patron : « tranquillité ? il n’y a partout qu’avidité et misère ». La préoccupation va naître de penser le monde, pour Hans qui ne peut le vaincre, et le voici réduit à la misère, ne pouvant toucher le secours de chômage. A un meeting improvisé dans la rue les chevaux de la police le jettent dans la boue. A la même heure, sa femme accouche.

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 Comme on le voit, il y a dans Et demain ? une inspiration concrète et descriptive, qui démontre la nécessité où se trouvent les féodaux d’Hollywood de lâcher du lest, devant les conflits sociaux qui secouent le pays. Mais la bourgeoisie ne renonce pas pour autant à assombrir la vérité. Les trucs idéologiques les plus éculés lui servent toujours au cinéma avec succès.

L’un des procédés les plus employés dans les films dits « sociaux », surtout américains, consiste à expliquer la misère du peuple, l’oppression de la majorité par la minorité et en dernier ressort l’exploitation de l’homme par l’homme par le dogme du « struggle for life » et à justifier l’état de choses capitaliste en étendant simplement à la société humaine le principe biologique de la concurrence vitale.

Ainsi, dans Et demain ? comme à un degré moindre, dans La Foule, l’inadaptation du héros à ses réelles conditions de vie en même temps que sa sensibilité, sa sincérité, sont exagérées jusqu’à devenir puérilité, veulerie et servilité devant les maîtres du monde.

Ainsi Hans, redoutant d’être mis à la porte, supplie qu’on lui achète quelque chose ; il quémande de l’embauche, disant même : « j’ai peur de la misère ». Et comme le chef du personnel répond par ce joli propos : « Vous avez plutôt peur de vous-même », le pauvre Hans répond : « peut-être ». Il y a des gens qui s’y connaissent, à bafouer tous les exploités du monde. On voit le traquenard : il ne faut pas donner prise à l’humanitarisme. Il faut que chaque spectateur méprise ce frère de misère qu’on veut bien lui montrer sur l’écran.

Mais nous, qui sommes aussi éloignés de l’humanitarisme que de la manière brutale qu’ont les exploiteurs d’estimer les objets de leur exploitation, nous dirons que tout n’est pourtant pas ici artificiel. Le caractère indécis de Hans, son éloignement du monde, n’ont-ils pas été décrits par Marx, Engels et Lénine, sous leur angle social, comme caractérisant la petite-bourgeoisie.

Non pas que tous les employés soient des Pinneberg, mais en Pinneberg se condensent les traits de la mentalité petite-bourgeoise de ces gens qui, réduits à une existence quasi-prolétarienne, se rattachent, dans leur propre pensée, non pas à la classe des prolétaires mais à la bourgeoisie. Le titre même, Et demain ? ou plutôt le titre original, Little man what now, n’illustre-t-il pas une particularité des classes moyennes ? Le prolétaire non plus n’est pas assuré du lendemain, mais le souci de l’avenir est plus familier à ceux qui d’habitude étaient assurés du présent. En ce temps où le désordre capitaliste éclate à ce point que l’avenir échappe à la raison bourgeoise, nombreux sont ceux dont l’existence est pourtant précaire qui ne regarderaient pas avec le même intérêt du côté de la Russie soviétique, si la vue de leurs enfants ne leur rappelait que la tyrannie capitaliste n’engage pas que le présent.

Ainsi Hans Pinneberg aurait pu traverser les mêmes circonstances économiques, et sa mentalité n’en être pas à ce point , modifiée, s’il n’allait être père, c’est cela qui le force à prendre sa condition au sérieux et l’amène au seuil de cette prise de conscience révolutionnaire qui est une nécessité pour la petite-bourgeoisie.

Bien entendu dans le film les choses tournent autrement. La naissance de l’enfant est présentée comme résolvant non seulement la situation matérielle de la famille (surgit en effet un patron, qui est en même temps un ami, et qui a du travail pour tout le monde), mais même le soi-disant problème psychologique, qui est en réalité celui de la mentalité petite-bourgeoise.

Lorsque Hans rentre, battu et humilié dans sa dignité par la police, l’enfant est né et Läemchen accueille son mari en disant : « Maintenant la vie ne peut pas être plus forte que nous, parce que nous avons créé la vie. » Ainsi s’épanouit en une sorte de mysticisme le pathos pseudo-biologique dénoncé plus haut. A coup sûr, ce n’est pas créer la vie, mais la comprendre, comprendre la lutte de classes, qui pouvait faire avancer d’un pas Hans Pinneberg.

Et si l’on nous dit que l’auteur de la nouvelle dont le film a été tiré, Hans Fallada, est passé au national-socialisme, cela ne saurait nous surprendre.

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 Disons qu’il faut voir les ébats de Hans et Läemchen dans les bois (on a rapproché cette scène de La femme au corbeau), le marchand de grains Kleinholz, et le vieux brocanteur qui abrite dans son grenier le ménage du chômeur.

Enfin qu’on ne s’étonne pas qu’un chômeur révolutionnaire soit présenté comme une brute dont la haine est le seul agrément.

 L. DUMONT.