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10/09/2011

Karl Radek parle de Hans Fallada (1934)


Congrès des écrivains soviétiques - 1934

Karl Radek :

La littérature mondiale contemporaine
et les tâches de l’art prolétarien

[extraits]


Discours:prononcé en août 1934.

Source:Gorky, Radek, Bukharin, Zhdanov and others, Soviet Writers’ Congress 1934, pp.73-182, Lawrence & Wishart, 1977;

Online Version:Marxists Internet Archive (marxists.org) 2004;

Transcrit par :Andy Blunden pour les Marxists Internet Archive.

Traduction : Alain C. (septembre 2011)


 

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[….]

 

5. Fascisme et littérature

Nous, le Congrès des écrivains soviétiques, tendons une main fraternelle à tous les écrivains qui cheminent vers nous, aussi loin de nous soient-ils pour le moment, si nous voyons seulement en eux la volonté et le désir de venir en aide à la classe ouvrière dans sa lutte, de venir en aide à l’Union Soviétique.

Nous leur disons : le meilleur service que vous puissiez nous rendre est de vous tenir épaule contre épaule avec la classe ouvrière dans vos propres pays, avec sa minorité révolutionnaire, prêt à lutter contre tous ces dangers qui ont banni le sommeil de vos nuits, qui ont dissipé votre calme esthétique. Les écrivains qui ne saisissent pas ce fait finiront inévitablement par atterrir dans le camp du fascisme, et il est donc d’une importance suprême que, nous et vous, puissions considérer ensemble la question : que signifie le fascisme pour la littérature ? Nos écrivains révolutionnaires ont une grande tâche devant eux – celle d’étudier, complètement et en détail, le destin de la littérature sous le règne du fascisme. Occupé comme nous le sommes par la lutte politique, d’abord et avant tout, nous n’avons pas consacré assez de temps et d’attention à cette tâche ; néanmoins l’histoire du destin de la littérature sous le sceptre fasciste constitue l’avertissement gravissime, un « dernier avertissement » pour tous les écrivains.

Les écrivains devraient s’interroger eux-mêmes – et devraient répondre à la question – que signifie le fascisme pour la culture, la littérature ? Je ne vais pas ici refaire le récit de l’histoire de l’attitude prise par le fascisme italien ou allemand face aux problèmes fondamentaux de la science, ou démontrer l’aspect mystique et irrationnel, l’aspect médiéval du fascisme. Je ne vais traiter ici que de la question de cette attitude envers la littérature – vous vous souviendrez quel hurlement fut celui de toute la littérature mondiale lorsqu’elle appris quelle vision de la littérature avaient les Marxistes, les bolchéviques, qui affirmaient que la littérature est une arme sociale, qu’elle est l’expression de la lutte des classes. Pour les esthètes, pour les représentants de la littérature internationale, ceci ressembla à une monstrueuse invention des Bolchéviques. Notre conception d’écrivains qui doivent servir la cause des classes opprimées dans leur lutte apparu à ces esthètes comme un rabaissement blasphématoire de la littérature, depuis les hauteurs intellectuelles de l’art vers le rôle de servante de l’histoire. Les fascistes, représentés par leurs théoriciens et leaders de l’art, disent : « Il ne peut y avoir de littérature qui se tienne à l’écart de la lutte.  Vous êtes ou bien avec nous ou bien contre nous. Si vous vous rangez à nos côtés, alors écrivez selon le point de vue de notre philosophie; et si vous n’êtes pas de notre côté, alors votre place est en camp de concentration. » Goebbels a dit cela des centaines de fois. Rosenberg a proclamé cela des centaines de fois.

Il est un écrivain allemand, Hans Fallada, fort talentueux, dont le livre, Kleiner Mann – Was Nun ?, est bien connu dans notre pays. Hans Fallada dépeint merveilleusement les souffrances des masses au sein de la société bourgeoise, montre comment elles sont dupées par les représentants du capitalisme, par les représentants de la démocratie bourgeoise. Il a décrit les Sociaux-démocrates, les fascistes… Mais beaucoup ont eu des difficultés à déterminer s’il était pour les fascistes ou contre eux. La figure principale de son livre est un petit employé de bureau honnête que la crise a jeté à la rue, un homme qui peut à peine rester entier – corps et âme – et n’a plus assez de forces pour combattre.

Hans Fallada a maintenant écrit un nouveau roman, Wer einmal aus dem Blechnapf frisst. Le héros de ce roman est un petit-bourgeois « déchu » qui a atterri en prison et y purge une peine de cinq ans. Il essaye de se racheter, de vivre comme un honnête citoyen, mais la machine bureaucratique bourgeoise du capitalisme le ramène tout droit en prison. Et quand son héros atterri une fois de plus en prison, il a comme le sentiment d’être retourné auprès de sa propre mère. Maintenant il a devant lui une condamnation pour quinze ans, mais il n’éprouve plus le besoin de lutter…

C’est un livre fort talentueux, mais désespéré. Il a paru alors qu’Hitler était déjà au pouvoir. Dans son avant-propos, Hans Fallada écrit que l’image qu’il a dessiné se réfère au passé, que les fascistes vont créer de nouvelles conditions. Il décida, de cette façon, de sauvegarder le livre et lui-même, prétendant qu’il ne parlait que du passé.

Mais comment les fascistes ont-ils répondu à cela ? Le Börsenzeitung de Berlin a publié un article fulminant au contenu suivanti :

« Nous savons que Hans Fallada n’a pas écrit ce livre contre nous. Qu’il essaye seulement ! Mais de qui a-t-il pris la défense dans ce livre ? Il a écrit en défense des ratés, de ceux que l’histoire a réduit en poussière. Il a éveillé de la pitié pour ceux qui devraient disparaître pour faire place aux troupes d’assauts avec leurs muscles et leurs revolvers en main. »

Le fascisme, qui trahit les intérêts de la petite bourgeoisie, sait que lorsque les gens liront ce livre, montrant comme il le fait de quelle façon le capitalisme a réduit en poussière la petite bourgeoisie sous le système démocratique, ils diront : « Sous les fascistes ce n’est pas mieux mais pire. » Et les fascistes demandent à l’écrivain : « Dessinez-nous une vision montrant comment, sous le fascisme, les gens progressent, se développent et prospèrent. Ne vous avisez pas d’éveiller la pitié pour ceux que le capitalisme a réduit en poussière. »

Nous ne savons pas ce que le petit homme, Hans Fallada, dira, que sera son destin maintenant, où il ira se réfugier. Le fascisme lui dit : « Il n’y a pas de zones neutres. Ecrivez comme on vous le demande ou vous serez détruit. » Les passages cités ci-dessus de deux pièces de Bernard Shaw ne font pas exception. Ils représentent seulement une expression plus frappante du fait que la critique de la civilisation capitaliste, la critique de la civilisation bourgeoise, en un seul et même temps, la première étape dans l’évolution de l’artiste vers le socialisme révolutionnaire et aussi la première étape de son évolution vers le fascisme. Il suffit de mentionner de productions littéraires comme Union der festen Hand de Reger, les romans de von Salomon – pour prendre des exemples dans la littérature allemande – ou de mentionner ces œuvres de la littérature française qui traitent de la corruption parlementaire, pour voir que le point qui pose problème est le dilemme de l’écrivain face à la solution socialiste-révolutionnaire à la crise du capitalisme et la pseudo-solution fasciste à cette crise. Il suffit de mentionner que les livres de Fallada ont donné lieu a une discussion assidue pour savoir s’ils sont révolutionnaires ou fascistes.

Ceci est arrivé à une époque où le fascisme était déjà au pouvoir en Italie depuis près de dix ans, à une époque où les gouvernements fascistes ou semi-fascistes dans plusieurs pays avaient déjà révélé le vrai visage du fascisme à  tous ceux qui avaient souhaité le voir. Et dans tous ces romans, le pont menant au fascisme empêcha d’évaluer le rôle du prolétariat, ne permis pas d’observer le début de son combat révolutionnaire. La critique des résultats de la culture capitaliste a servi par le passé et, dans le cas de nombreux écrivains petits bourgeois, sert encore aujourd’hui de tremplin au fascisme. Ceci peut se produire de deux façons : ou bien l’écrivain nourrit l’illusion que le fascisme va effectuer la purification de la civilisation moderne, qu’il représente une médecine cruelle mais cependant une médecine ; ou bien il soutient qu’il n’y a aucune puissance qui puisse empêcher la victoire du fascisme. Hautement caractéristique à ce sujet est la réponse donnée par le célèbre écrivain français, Céline, auteur du très discuté roman, Voyage au bout de la nuit.

Céline a peint un tableau effrayant, nos seulement de la France d’aujourd’hui, mais de tout le monde contemporain. Il a vu les abysses de la guerre. Il a plongé dans le cloaque de la politique coloniale. Il a tourné son regard vers la « prospérité » américaine. Il a décrit une description sombre de la petite bourgeoisie française.

Dans le monde entier le seul personnage humain qu’il ai pu trouver était une prostituée. Et après tout cela, en réponse à un questionnaire d’un magasine au sujet du danger du fascisme, il dit :

« Dictature ? Pourquoi pas ! Il ferait beau voir qu’on n’en est pas capable aussi ! Défense contre le fascisme ? Vous voulez rigoler, vous n’avez pas été à la guerre, Mademoiselle, ça se sent vous voyez à des questions pareilles. Quand le militaire prend le commandement, Mademoiselle, il n’y a plus de résistances, on ne résiste pas au Dionosaure [sic]. Il crève de lui-même – et nous avec – dans son ventre, Mademoiselle, dans son ventre. » (1)

Pour celui qui entretient une telle opinion sur la force du fascisme et l’inéluctabilité de sa victoire, la lutte contre le fascisme est impossible, la soumission inévitable. Aussi la question de savoir si l’écrivain, dans le ventre du fascisme victorieux va gagner son pain en cirant les bottes, ou s’il va s’y adapter et commencer à chercher une justification à l’inévitable, c’est-à-dire à le servir, est une question d’importance secondaire.

[…]

 

(1) Nous citons d’après le texte publié dans Cahiers Céline 7. Céline et l’actualité 1933-1961. Gallimard, Paris 1986. (p. 18)