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08/02/2012

La mise en scène romanesque de la crise des relations interpersonnelles

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Germanica

22 | 1998

La crise des relations interpersonnelles dans la littérature de langue allemande du XXe siècle

L’échec du personnage réparateur dans deux romans de Hans Fallada

Pierre Vaydat

Six années seulement séparent les deux romans de Hans Fallada qui font l’objet de cette étude. Pourtant, si l’on tient compte de la durée historique, l’intervalle est immense. Bauern, Bonzen und Bomben est paru en 1931 ; il a été rédigé durant la période terminale de la République de Weimar. Wolf unter Wölfen a été écrit et publié sous le régime hitlérien, qui était en 1937 au zénith de sa popularité et aussi, il faut bien le dire, de son audience internationale.

Jusqu’à présent, la recherche s’est moins intéressée à ces deux livres qu’au célèbre Kleiner Mann was nun ? de 1932, qui obtint un succès mondial, et auquel on ne peut comparer de ce point de vue que les tirages phénoménaux de Im Westen nichts Neues. Il y a là une négligence surprenante, car les romans de 1931 et de 1937 sont d’un format beaucoup plus ambitieux : ils présentent des tableaux plus amples et plus diversifiés de la société allemande. Or, lorsqu’il s’agit de Fallada, c’est le document d’époque qui attire prioritairement l’attention de la critique. Les gardiens des valeurs culturelles n’assignent en effet à cet écrivain qu’une place très restreinte dans l’histoire de la littérature, parce qu’il se lit facilement et qu’il a recours à des procédés d’écriture et de composition typiques de la littérature populaire.

Bauern, Bonzen und Bomben est un roman d’actualité (Zeitroman), salué lors de sa parution comme un texte paradigmatique de la Neue Sachlichkeit1. Il décrit l’ébranlement causé dans une petite ville de province du Nord de l’Allemagne par une manifestation de paysans d’extrême-droite qui tourne mal et qui est suivie d’un boycott organisé par ces derniers contre les citadins. Les événements que Fallada transpose dans son roman s’étaient déroulés tout récemment : on y reconnaissait le conflit entre la municipalité de Neumünster et la Landvolkbewegung en 1928-1929. Neumünster, appelé Altholm dans le récit fictionnel, est présenté comme un microcosme de toutes les bassesses et de toutes les compromissions qui sont en train de détruire le régime républicain mal aimé. Wolf unter Wölfen, par contre, est un roman historique décrivant avec un extraordinaire relief, mais avec des omissions significatives, l’Allemagne de l’été et de l’automne 1923 : l’inflation à son paroxysme, puis le putsch manqué de la « Reichswehr Noire » à Küstrin. On a vivement reproché à Hans Fallada d’avoir tenu à publier un ouvrage de cette nature à un pareil moment, ce qui entraînait fatalement de sa part des concessions idéologiques, notamment dans une préface alambiquée, dont il ressortait que le régime hitlérien, succédant aux vicissitudes de la République de Weimar, pouvait apparaître comme une solution salvatrice. (La postface à la réédition de « Bauern, Bonzen und Bomben » en 1938, dont on a moins parlé, contiendra, elle, une profession de ralliement sans équivoque2.) Il faut reconnaître, cependant, que Wolf unter Wölfen était, à sa façon, un acte de résistance. D’abord, par l’absence d’allusions antisémites : la question juive y est passée entièrement sous silence, alors que Fallada l’avait évoquée, d’une façon objective d’ailleurs, dans ses romans d’avant 1933. Un deuxième manquement était forcément choquant pour l’Allemagne officielle de la croix gammée : les Junkers, les corps francs, le milieu est-il bien en général dans lequel est située l’action du deuxième volume (« Das Land in Brand ») sont dépeints sans bienveillance. Enfin, il n’est fait aucune mention du mouvement hitlérien à ses débuts, ce qui contrevenait à la première obligation d’un écrivain soucieux de s’attirer la faveur des maîtres du Troisième Reich.

Mais Fallada est-il vraiment un auteur de romans politiques, comme l’avait été le Balzac des « Paysans » ? Jürgen Manthey l’a contesté. Pour ce critique, les romans de Fallada, réputés romans sociaux, sont en réalité des objectivations de problèmes personnels obsédants :

Seit dem Jahre 1930 hat Fallada die Absicht gehabt, dem Leser die Wirklichkeit, nicht aber den Autor vor Augen treten zu lassen. Doch schon der Roman Bauern, Bonzen und Bomben […], der als das wichtigste Dokument der Neuen Sachlichkeit anzusehen ist, enthält eine der unverblümtesten Selbstdarstellungen des Autors3

5Il existe une autre raison de mettre en doute que l’écrivain, chez Fallada, se double d’un penseur politique comparable (abstraction faite de la sempiternelle question du niveau littéraire) à Balzac, Stendhal ou Heinrich Mann. Fallada est resté attaché toute sa vie à la vision vague et sentimentale d’une société essentiellement non-conflictuelle, fondée sur la coopération des hommes de bonne volonté, qui accomplissent à leur rang, sans égoïsme, par esprit civique, la tâche dévolue. Figure exemplaire de déclassé, emprisonné à deux reprises pour détournement de fonds, fragile psychiquement et menacé perpétuellement par la tentation de l’alcool et de la morphine à laquelle il finira par succomber de nouveau en 1945, Fallada n’a jamais voulu cesser de croire pour autant aux valeurs prônées dans son milieu d’origine, la bourgeoisie wilhelminienne bien-pensante.

Serions-nous donc en présence d’un cas pathologique de naïveté ? Fallada est-il l’idéal-type de l’Allemand apolitique ?

Il n’en est rien, si l’on songe à l’impitoyable réalisme de Bauern, Bonzen und Bomben, dont cinquante années plus tard Rolf Schneider estimait encore pouvoir louer la valeur de « modèle intemporel » (« zeitloses Modell »), parlant d’une fresque à méditer par tous ceux que préoccupe l’avenir de la démocratie pluraliste, rongée de nos jours comme naguère par les egoismes et la corruption. Rolf Schneider allait jusqu’à écrire :

Aller aufgezählter Schwächen zum Trotz (il s’agit des défauts inhérents à la littérature populaire) ist Bauern, Bonzen und Bomben ein bemerkenswertes, ein in Teilen grandioses Buch. Hier haben wir einen der wenigen politischen Romane unserer Literaturgeschichte4.

Le jugement de Rolf Schneider qualifiant Fallada de grand romancier politique concorde absolument avec celui qu’émettait un demi-siècle plus tôt Axel Eggebrecht, lors de la sortie du livre, dans le périodique « Die literarische Welt » :

Auch Fallada hat einen Zeitroman geschrieben. Aber der unter-scheidet sich recht gründlich von all den Erzeugnissen der eben gekennzeichneten Art. Sein Roman ist ein gutes, anständiges Buch vor allem deshalb, weil der Verfasser nach wirklicher Einsicht, also nach Gerechtigkeit gestrebt hat. Dennoch schreibt er durchaus cum ira et studio. Aber er ereifert sich nicht für eine Theorie, für eine Gruppe, eine Partei, sondern für etwas heute nicht sonderlich hoch im Kurse Stehendes : für den anständigen Menschen. Ihn sucht er in den verschiedenen Lagern auf5.

Le personnage intègre, dévoué au bien public, créateur d’ordre et de décence, pilier indispensable de toute société : voilà l’idéal humain de Hans Fallada, celui qui s’incarne dans tous les personnages sympathiques à quelque degré qui peuplent ses romans, de tous rangs sociaux et de toutes opinions, hommes ou femmes.

Il est significatif que le collègue qui aide et protège le gentil et malchanceux Pinneberg dans Kleiner Mann – was nun ? porte le nom de Heilbutt, bien que son missionnarisme nudiste fasse tiquer l’hypocrisie morale ambiante et qu’il finisse par offrir à Pinneberg devenu chômeur un emploi peu honorable, la diffusion de photos osées. C’est Heilbutt qui, malgré le refus opposé vertueusement par Pinneberg à une telle reconversion, abrite ensuite le jeune chômeur, son épouse et leur petit garçon dans un cabanon qui lui appartient, pour un loyer couvrant juste les impôts locaux :

So war Heilbutt doch, helfen wollte er. Da war sein Freund, sie gehörten nicht mehr recht zusammen, sie hatten wohl nie zusam-mengehört, aber geholfen musste werden6.

Heilbutt n’est qu’esquissé. Il demeure un personnage typique de roman populaire, le non-conformiste malin, mais au cœur généreux, celui qui a l’art de se tirer de tous les mauvais pas, et dont le lecteur suit les tribulations sans angoisse, avec une complicité amusée.

Tout autres sont les figures fondamentalement parentes du bourgmestre Gareis dans Bauern, Bonzen und Bomben et de l’ex-lieutenant von Studmann dans Wolf unter Wölfen. Elles sont beaucoup plus travaillées. Leur destin est conçu pour susciter chez le lecteur la réflexion, et non plus seulement l’identification. Elles illustrent cet aspect décourageant de la condition humaine qu’est l’échec du personnage réparateur, son irrémédiable solitude, tenant à sa mentalité bien particulière. Selon toute apparence, Gareis et von Studmann n’ont aucun trait commun. Gareis est d’origine très modeste (il est le fils d’un barbier), ce qui est un stigmate dans une société où les classes moyennes sont encore imbues souvent des préjugés de caste hérités de l’époque impériale7 ; tandis que von Studmann, même s’il n’a pas été intégré dans la Reichswehr après la dissolution des corps francs et doit déroger en devenant chef de réception dans un grand hôtel berlinois, reste un officier prussien bien né, l’égal socialement parlant des von Prackwitz et des von Teschow, ces Junkers auprès desquels il croira un moment trouver dans l’administration d’un domaine une nouvelle occasion d’œuvrer et par conséquent une nouvelle raison de vivre. Gareis est le bourgmestre-adjoint SPD d’Altholm, et y détient la totalité du pouvoir municipal. Von Studmann, lui, est un national-allemand viscéralement hostile à tout ce qui lui paraît de gauche et qu’il assimile, comme le faisait Bismarck8, à du ressentiment et à une volonté de spoliation pure et simple. Cependant, il analyse avec lucidité la situation dans laquelle ses pareils se trouvent à la suite de la défaite et de l’instauration d’un régime démocratique. Gareis est un bon vivant, un homme gros et fort, un connaisseur amusé de la bassesse humaine, passé maître dans l’art de l’utiliser sans scrupules excessifs pour gérer sa ville au mieux. C’est un extraverti paternaliste, jovial et cynique. C’est aussi un ambitieux qui trouve trop étroit pour ses capacités le champ d’action que lui offre la petite ville. Von Studmann, quant à lui, est tout à fait dépourvu du genre de rayonnement qui permet à Gareis de se maintenir en position de force. Sa vocation est de servir, de sauver ce qui peut encore l’être, plutôt que de bâtir du neuf. Il est l’antipode d’un homme de pouvoir comme Gareis. Mais tous deux partagent, sur un fond de réalisme froid caractéristique de l’esprit neusachlich, la visée humaniste. En dépit d’eux-mêmes, ils sont convaincus qu’il est encore possible de faire barrage au chaos social, au déchaînement destructeur des égoïsmes, en accomplissant avec opiniâtreté et minutie, mais aussi avec entrain, la mission à laquelle on a été appelé par les circonstances. Dans un monde que ronge à tous les niveaux la dissolution des valeurs, ils sont porteurs de régénération, par leur habileté et leur conscience professionnelle, par leur obstination à entreprendre et à continuer l’œuvre constructive.

Or, les deux romans débouchent sur une leçon identique. L’homme de bonne volonté, après une période initiale de succès, découvre que ses efforts ont été vains, qu’il n’est pas parvenu à provoquer autour de lui l’indispensable changement de mentalité.

La cause profonde de l’échec n’est pas politique. Dans Bauern, Bonzen und Bomben, Gareis n’est pas évincé par ses ennemis de la Droite Nationale (au premier rang desquels s’agite et intrigue l’abominable journaliste Hermann Stuff, réactionnaire, alcoolique et dépravé), mais par ses propres camarades, les « bonzes » (on dirait en français d’aujourd’hui : les apparatchiks) du SPD. Il est la victime du Regierungspräsident (préfet) Temborius, un bureaucrate qui compense son incapacité à gérer les relations humaines par les plaisirs de l’insensibilité et de la perfidie. Gangrené par l’opportunisme et les querelles intestines, exactement semblable dans son comportement suicidaire aux conservateurs du DNP et du DNVP, le parti social-démocrate opère, jour après jour, son autolyse. La jalousie des cadres médiocres atteint son objectif : la mise au rancart du politicien qui a la stature d’un homme d’Etat véritable, alors qu’il manque cruellement, partout en Allemagne dans ce qui reste du camp démocratique, de leaders de cette sorte. « Nichts um der Sache willen », dira Gareis à la fin du roman lorsque, s’étant vu enjoindre par les hommes de l’appareil de l’appareil SPD de quitter Altholm qu’il a administré six années durant pour assumer les nouvelles fonctions qu’il a dû prendre dans une ville noirâtre de la Ruhr, il confie à l’assesseur Stein ses vues sur la politique locale et nationale. « Immer aus irgendwelchen mickrigen Interessen ».

La fonction réparatrice de Gareis est indiquée expressément, et même parfois non sans lourdeur. Le directeur de la prison la souligne sur un ton obséquieux :

Wo Sie hinkommen, Herr Bürgermeister, schlichtet sich das Widerhaarige, das Unebene wird glatt9.

À l’opposé, le préfet Temborius incarne le réparateur inauthentique, dont les manœuvres achèvent de gâter la situation.

Wir werden wieder einmal ausgleichen, einrenken, versöhnen, die Fehler der untergeordneten Instanzen auslöschen.

énonce-t-il avec complaisance au moment où il croit tenir sa victoire sur Gareis, qui l’avait humilié en refusant carrément de suivre ses consignes, espérant ainsi éviter un affrontement dont il prévoyait qu’il allait sûrement mettre aux prises, sans bénéfice politique aucun pour l’un ou l’autre camp, les manifestants paysans et la police municipale10. Temborius aura besoin d’un bouc émissaire : il sacrifiera Frerksen, le chef de la police d’Altholm, celui-là même auquel il avait donné des consignes d’extrême fermeté en court-circuitant le gros maire, et sur lequel pèse maintenant l’opprobre du « lundi sanglant », du « Blutmontag ».

Temborius est ignoble, mais Gareis a les défauts de ses qualités, qui seront en fin de compte préjudiciables à sa carrière. Ses camarades du parti social-démocrate lui font grief non sans bien-fondé de se montrer trop compréhensif vis-à-vis de la droite et de l’extrême-droite. L’assurance quasiment charismatique arborée par Gareis dans les relations humaines, sa propension à multiplier les contacts cordiaux et à estomper les antagonismes idéologiques les irritent constamment. Il est bien trop patriarcal à leur gré. Surtout, sa personnalité écrasante de colosse intelligent représente une menace pour le tissu d’allégeances intéressées dont est faite la vie du parti. Pour toutes ces raisons, les camarades l’ont surnommé Mussolini11, ce qui constitue de surcroît une allusion à ses indéniables penchants populistes.

Acculé à la démission par les envoyés du parti12, Gareis tente dans un suprême effort d’obtenir son maintien à la tête de la municipalité, en faisant aux émissaires qui l’écoutent avec un amusement glacial le panégyrique de ses réalisations. Effectivement, dans le domaine de l’action sociale, son bilan est exemplaire. Il s’enorgueillit de l’avoir conduite de telle manière que les assistés reçoivent une formation leur permettant de réussir une insertion professionnelle. Mais il se targue aussi d’être le seul qui soit capable de poursuivre une tâche de ce genre et les envoyés ne manquent pas de lui faire observer combien une telle attitude indispose les autres militants.

Une fois sa lettre de démission signée, Gareis, resté seul dans son bureau, doit s’avouer qu’il en restera marqué pour toute sa vie, qu’il inclinera désormais toujours du côté du découragement :

Als sie gegangen sind, bleibt Gareis reglos in seinem Stuhl sitzen. Er denkt nach, er sieht die Stadt vor sich, in die er sechs Jahre Arbeit steckte. Die Häuser kommen, die er hat erbauen lassen. Er sieht den Schlafsaal vor sich im Säuglingsheim, mit den sechzig Kindern, die dort liegen in ihren Strampelsacken. […]

Er erinnert sich, wie einmal ein Arzt zu ihm sagte : « Eigentlich alles unproduktive Arbeit, Bürgermeister. Das minderwertigste vom minderwertigen Material. Kinder von Trinkern, luetische Kinder, Krüppel, schwachsinnige Kinder. In Sparta hätte sie man alle totgeschlagen. »

Es fällt ihm ein, wie er monatelang nicht über die Worte hat fortkommen können : « Eigentlich alles unproduktive Arbeit, Bürgermeister ».

Er denkt an die fünfhundert Gesichter in dieser Stadt, die er angetrieben hat zu dieser und anderer Arbeit, die er aufgejagt hat aus ihren Sofawinkeln, von ihren Schlummerkissen.

Er weiss, wenn er hier fortgeht, er wird nie wieder so arbeiten können. Wo er auch anfängt, sein Jugendwerk hat er hinter sich, der Elan ist vorbei. Er ist kein junger Mann, er ist ein Mann dann wie alle13.

Von Studmann est une personnalité moins resplendissante. C’est un ange gardien mal inspiré, sa protection est inefficace en fin de compte. À une époque où les liens sociaux se défont, il ne peut pas réaliser son ambition à peine consciente, dont il nierait même par modestie qu’elle l’habite. Il voudrait être l’un de ceux qui, dans toutes les strates de la population, œuvrent par leur travail pour refonder l’imaginaire communauté perdue. À la différence de Gareis, il est trop probe pour apercevoir partout où il le faudrait la corruption morale. La famille de son ami von Prackwitz, qu’il est venu seconder dans l’administration de son domaine, se disloque sans qu’il ait entrevu dans sa naïveté la cause la plus profonde,mais aussi la plus cachée du mal, celle qui tourmente Eva, la femme du Rittmeister : les amours de sa fille, l’adolescente Violet, surnommée Weio, avec l’invisible et inquiétant « lieutenant Fritz », l’organisateur à l’échelon local de la « Reichswehr Noire ». Von Studmann se trompe à tel point sur les êtres qu’il fait confiance à la jolie mais perverse Sophie Kowalewski, la maîtresse du détenu Hans Liebschner, qui s’évadera, se fera héberger dans la maison du père, le chef d’équipe Kowalewski, terrorisant celui-ci, puis tuera le vieux garde forestier Kniebusch.

En outre, il manque à von Studmann non pas une vertu (il les a presque toutes), mais une qualité indispensable. Il n’est qu’un homme de bonne volonté, alors qu’il lui faudrait être une personnalité exerçant une véritable emprise vitale, capable de subjuguer les autres, de susciter leur allégeance irrationnelle.

Cela dit, von Studmann, s’il n’est pas un bâtisseur comme Gareis, est tout de même un reconstructeur, celui qui œuvre pour recréer un ordre :

Es war nicht mehr dasselbe Büro !

Es waren noch die gleichen Regale aus hässlichem, gelbgrauem Kiefernholz, es war noch derselbe, ehemals schwarze Schreibtisch mit dem grünen, tintenfleckigen Filz, es stand da noch immer der viel zu grosse Geldschrank mit den gelb gewordenen Goldarabesken – aber nein, es war nicht dasselbe Büro !

Die Fensterscheiben blitzten ; saubere, helle Vorhänge waren aufgesteckt ; den Möbeln hatte Öl einen sanften Glanz gegeben ; der abgetretene, splittrige Fussboden war abgehobelt, gewachst und gebohnert worden, und über den Geldschrank war der Gutstellmacher mit seinem Farbentopf geraten : silbergrau schimmerte sein Stahlpanzer, dunkelgrau waren seine Verzierungen geworden – nein, es war nicht mehr dasselbe Büro !

Einmal hatte sich der Rittmeister von Prackwitz Gedanken darüber gemacht, ob er denn seinen Freund, den Oberleutnant von Studmann, auf solch ein verliedertes Gutsbüro hinter Lohnlisten und Kornabrechnungen würde setzen können. Hierüber hatte sich der Rittmeister keine Gedanken zu machen brauchen : auf ein liederliches Büro setzte sich Herr von Studmann nicht, Liederlichkeit trieb er aus, sanft, doch gnadenlos14.

C’est par cette description que commence le second volume de Wolf unter Wölfen, et son sens symbolique est trop évident (littérature populaire oblige !) pour avoir besoin d’être analysé.

Toujours est-il que von Studmann n’est pas quelqu’un que les gens respectent et craignent à la longue. Dans l’armée déjà, au temps heureux de l’Allemagne impériale, ses camarades l’avaient affublé d’un sobriquet : « das Kindermädchen ».

Et l’on pourrait aller jusqu’à dire, en effet, qu’il n’est pas complètement un adulte, malgré la maturité qu’il professe et pratique, cette qualité qui le rend si fiable, faisant de lui à tous les points de vue le cadre idéal. Son comportement amoureux est révélateur. Lorsqu’il s’éprend d’Eva von Prackwitz, dont l’éclat de femme maternelle et épanouie l’a charmé, il en demeure à la passion platonique, ne voulant pas trahir son meilleur ami et ancien camarade du front, bien que celui-ci soit devenu un être lamentable, incapable de gouverner son existence. Car von Prackwitz n’avait pu tenir son rang d’homme que dans l’univers rigide de l’armée impériale ; lorsque la défaite l’a privé de l’armature psychique du militaire de carrière, il est devenu ce qu’il avait toujours été au fond : un psychopathe faible et velléitaire, vaniteux et stupidement cassant, sujet à des accès de fureur puérils aux conséquences dévastatrices. Mais von Studmann n’a pas la volonté de conquérir la femme aimée. Il préfère travestir sa passion naissante en devoir, pour se la rendre moralement acceptable en l’annexant à sa vocation réparatrice :

Ich muss diesem armen Wesen (sic) helfen, dachte Herr von Studmann energisch15.

De son côté, Eva von Prackwitz reconnaît en son for intérieur que von Studmann ne lui est pas indifférent, mais son sérieux et sa pondération l’agacent. La vocation réparatrice de von Studmann est en réalité pour une large part l’expression du perfectionnisme (Pedantentum) qui est devenu le ciment de son identité dans une société en voie de dislocation.

Contrairement à Gareis, l’ambitieux à la nature d’ogre, von Studmann est tout au long des années chaotiques de l’après-guerre la victime du cours qu’ont pris les événements, et surtout de la modification générale des mentalités. Un incident pénible, où les apparences étaient contre lui, l’a fait congédier de l’hôtel très mondain dont il dirigeait impeccablement la réception : il a compris depuis lors quelle pouvait être l’impuissance de la personne individuelle, le néant de la valeur humaine intrinsèque dans le système capitaliste16. (C’est à la suite de ce licenciement que von Prackwitz, qu’il vient de rencontrer, lui a offert de venir à Neulohe).

Comme Gareis, von Studmann connaîtra pourtant, mais un moment seulement, la joie du travail constructif, le spectacle suprêmement gratifiant de l’harmonie sociale qu’une direction efficace et avisée fait naître. C’est le thème du « Médecin de campagne », bien que le ton neusachlich soit naturellement très éloigné du style soutenu de Balzac :

Es kamen natürlich immer Fehler vor, grosse wie kleine. Es war nicht leicht für Herrn von Studmann, einen so grossen, ihm ganz neuartigen Betrieb in der eiligsten Arbeitszeit zu übernehmen und zu leiten. Oft musste er in einer Minute die schwierigsten Entscheidungen treffen. Es half kein Zögern : die Brücke zum Aussenschlag 5 war zusammengebrochen, 20 Gespanne, 80 Leute standen tatenlos herum, sahen tiefsinnig das in den Graben gesunkene Erntefuder an, rekelten sich schon im Schatten und sprachen : « Da kannste nichts bei machen ! »

Herr von Studmann machte was dabei. In einer Minute sausten die Boten ab zum Hof. In fünf Minuten waren Hacken, Spaten, Schaufeln auf dem Felde. Eine Viertelstunde später war schon ein Damm durch den Graben gelegt, nach zwanzig Minuten kam ein Fuhrwerk aus dem Wald mit Knüppeln – es war noch keine halbe Stunde vergangen, so fuhren die Erntefuder wieder vom Aussenschlag auf den Hof...

« Das ist ein Kerl ! », sagten die Leute.

« Von dem möchte man direkt ein Kind haben », sagte die Hartigen bewundernd […]

« Das möchtste wohl, Frieda » lachten die anderen beifällig17.

À l’inverse de Bauern, Bonzen und Bomben, où Gareis était le seul personnage vraiment positif, Wolf unter Wölfen nous présente d’autres personnages réparateurs, soit de par leur fonction, soit qu’ils se découvrent une vocation dans l’épreuve. Ce sont notamment des femmes issues du menu peuple, comme Amanda Backs ou Petra Ledig. Mais l’un d’eux nous intéressera de plus près, étant donné sa problématique.

Il s’agit du brigadier-chef de la Schupo berlinoise Leo Gubalke18, qui ressemble à von Studmann par sa conception pédante de l’ordre et par son sang-froid. À ce titre, ses chefs le considèrent comme un homme précieux, ce qui a pour premier résultat de le priver du poste administratif auquel il s’est mis à aspirer, la quarantaine venue. On a trop besoin de lui pour des missions de maintien de l’ordre. Il va mourir, atteint au ventre par une balle. Sur son lit d’hôpital, il entrevoit, agonisant dans d’atroces souffrances, la vanité de l’effort humain :

Der schwer und qualvoll Sterbende dachte jetzt vielleicht an seine Frau und an die Kinder. Und vielleicht freute es ihn in der Hölle seiner Schmerzen, dass sich wenigstens seine Mädchen (wenn auch nicht seine Frau) so wuschen wie er. Er hinterliess eine Spur seines Wesens auf dieser Welt, ein kleines Zeichen dessen, was er für Ordnung gehalten hatte19.

Un autre personnage réparateur voué à l’échec est le gardien-chef Marofke, chargé de l’encadrement des bagnards qu’on a envoyés à Neulohe pour aider à la moisson. Il est détesté de tous, même de von Studmann, à cause de son comportement soupçonneux, mais surtout, au fond, en raison de son manque de prestance physique. Les gens ne comprennent pas sa mission, qui est de les protéger contre le mal que feraient les bagnards s’ils parvenaient à s’évader. C’est en vain que Marofke met en garde le jeune Wolfgang Pagel, le héros sympathique du roman (qui a servi dans les corps francs avec von Prackwitz et von Studmann dans la « Baltikum-Brigade » et qui est venu assister von Studmann à Neulohe) contre la tentation de parler aux gardiens pendant qu’ils surveillent les détenus au travail. Pagel oublie un beau jour cette consigne, détournant ainsi l’attention du surveillant, ce qui aura des conséquences fatales, et mettra aussi fin à la carrière de Marofke dans l’administration pénitentiaire.

Un dernier personnage réparateur est esquissé vers la fin du roman. C’est le vieux médecin qui, à Ostade (Küstrin), fait une piqûre calmante à Weio, après la scène brutale où le lieutenant Fritz l’a repoussée et insultée devant son père. Eva von Prackwitz, accourue de Neulohe, trouve le médecin âgé au chevet de sa fille. Il se trouve que cet homme est le seul à entrevoir la situation psychique réelle de Weio, et donc l’unique personne capable de la sauver encore de la destruction. Mais Eva von Prackwitz est trop pressée de le mépriser :

Für Frau Eva ist die Sache klar : dieser kleine Kassenarzt hat Geld gewittert, er warnt vor Unheil, um eine lange, kostspielige Behandlung zu rechtfertigen.

Sie steht auf : « Also, ich danke Ihnen sehr, Herr Doktor. Ich werde Ihren Vorschlag mit Herrn von Prackwitz besprechen. Wenn wir darauf zurückkommen sollten, geben wir Ihnen Nachricht... »

Sie steht da, ganz kühle Abweisung – keiner kann aus seiner Haut. Sie ist sonst eine recht vernünftige, klarsehende Frau, aber im Augenblick ist sie nur die Tochter des reichen Mannes. Sie misstraut den Beweggründen aller, die gezwungen sind, um ihren Lebensunterhalt für Geld etwas zu tun. « Er will ja bloss Geld verdienen ». Dieser törichte Satz macht aus einem weise besorgten Rat ein eigennütziges, niedriges Geschäft.

Und endlich versteht sie auch der alte Mann. Eine kleine Röte steigt in seine dünne Backen, er macht eine hilflose Verbeugung, er tritt noch einmal an das Bett. Er kann nichts mehr tun. Er hat ihr ein bisschen Schlaf geben können, aber was nach dem Schlafe kommt, das hat er ihr nicht leichter machen dürfen. So ist es auf dieser Welt. Mit gebundenen Händen sieht der Hilfreiche die Verdammten, die Unglücklichen, die Gefährdeten ihre Wege gehen. Er kann bloss warnen. Aber seine Stimme verhallt zwischen Gelächter und Todesgeschrei, unbeachtet steht er am Wege...20

Il y a donc amplification du thème. Or, nous connaissons la motivation de l’auteur. Fallada avait adressé à Hermann Broch, l’écrivain juif autrichien bien connu, un exemplaire de Wolf unter Wölfen. Après lecture, ce dernier lui avait adressé une lettre où le problème que traite cet article est directement abordé :

[…] ich spüre (die Verzweiflung) auch in der Art des Ausweges, der stets auf der Linie der schlichten Tüchtigkeit und der tüchtigen Schlichtheit liegt […]

Fallada avait répondu par cet aveu :

Ich selber […] glaube nicht an einen Lebenssinn. Ich selbst habe mich auf der Linie einer tüchtigen Schlichtheit zurückgezogen, wie Sie ganz richtig sagen, aber das ist natürlich nur ein fauler Kompromiss, damit ist nichts getan. Aber wie anders ?21

Fallada éprouvait un sentiment permanent de honte parce qu’il n’avait pas eu le courage d’émigrer, ni celui de défier ouvertement le régime hitlérien et de devenir un martyr. La « schlichte Tüchtigkeit » pratiquée comme vertu ascétique ne peut plus faire barrage au Mal. Ce qui était encore concevable à la rigueur en 1931 ne l’est plus du tout en 1937, alors que l’Allemagne vit sous un régime criminel. C’est à l’honneur de Hans Fallada de l’avoir reconnu sans façons, et sans ménagements pour lui-même. N’oublions pas, en outre, avant de lui jeter la pierre, que le Troisième Reich, jusqu’en 1939, avait été reconnu comme un partenaire de négociations par les gouvernements et par l’opinion des pays réputés démocratiques, soucieux avant tout d’« apaisement », et qui ne voyaient pas d’un mauvais œil l’Allemagne nazie leur servir de rempart contre le bolchevisme.

Mais revenons à nos personnages principaux. Ni Gareis, ni von Studmann ne pourront se fixer. Pour tous deux, l’échec final signifie le départ forcé. Gareis est envoyé administrer une sinistre petite ville industrielle de la Ruhr où, comme le lui laissent entendre aimablement les émissaires du parti, il ne lui restera plus désormais qu’à s’abrutir de travail. Quant à von Studmann, repoussé par Eva von Prackwitz, il quittera Neulohe sans avoir pu sauver le domaine de la faillite (voulue d’ailleurs et sciemment préparée par le beau-père du Rittmeister, qui a toujours détesté son gendre) pour aller assister le Sanitätsrat Schröck dans la direction d’une luxueuse maison d’aliénés. Dans ce cadre, où toutes les activités se déroulent conformément à de strictes règles de sécurité et où règne par conséquent une discipline inflexible encore que bienveillante, von Studmann peut mettre en pratique sa conception toujours un peu maniaque de l’ordre et trouver une possibilité dérisoire d’accomplissement.

La punition de l’échec est la solitude. Gareis a pour unique consolation la fidélité quasiment féodale de son plus proche collaborateur, l’assesseur Stein, qui le suivra dans son nouveau poste. Quant à von Studmann, il prend souvent comme but de ses promenades vespérales le cimetière où il s’arrête invariablement devant la tombe d’une jeune fille, Helene Siebenroth, morte en sauvant de la noyade un enfant alors qu’elle-même ne savait pas nager.

Studmann sieht den Stein an, er denkt an das junge Mädchen. Helene Siebenroth hat sie geheissen, sechzehn Jahre – sie war des Schwimmens unkundig.Sie war hilfsbereit, aber sie brauchte selber Hilfe. Er war hilfsbereit – doch auch er war des Schwimmens unkundig.

Von Studmann reconnaît finalement son impuissance à vivre, et décide de ne plus quitter les fonctions qu’il exerce au sanatorium.

Er hat entdeckt, dass ihm etwas fehlt, was die anderen haben : Er kann sich dem Leben nicht anpassen. Er trägt einen Massstab in sich, er wollte, dass das Leben sich diesem Massstab fügte. Das Leben tat es nicht. Herr von Studmann scheiterte. In grossen und in kleinen Dingen. Er konnte keine Konzessionen machen.

Studmann renonce à fonder une famille, il renonce même à toute aventure avec une femme. Il se contentera platement de servir d’oncle aux enfants des seuls amis qui lui restent, le couple Pagel22.

On est libre de juger cette fin un peu mièvre, et de dauber sur cette désespérance qui est un refuge dans une résignation facile.

Mais on est amené à voir les choses un peu autrement si l’on connaît l’histoire littéraire de la République de Weimar.

On se souvient que Erich Kästner avait choisi de faire mourir de la noyade, dans des circonstances exactement semblables à celles que Fallada imagine pour le sacrifice de la jeune fille, le héros passif de son roman Fabian23. Or, on sait que Fallada appréciait hautement les écrits de Kästner, qui avaient été brûlés lors de l’autodafé des livres décrétés impurs, le 10 mai 1933, en compagnie des œuvres de Thomas Mann, Ossietzky, Freud, Marx, Heine etc24. En 1931, Fallada avait consacré à Kästner poète et romancier un article enthousiaste, intitulé « Auskunft über den Mann Kästner », dicté visiblement par un sentiment de profonde affinité quant à l’attitude vitale25. A la fin de cet article, tout au long duquel Fallada avait insisté sur la notion de « Anständigkeit » dans le message éthique de Kästner, on trouve un passage élogieux sur Fabian, conçu en ces termes :

Zieht uns herein in eure Schweinereien – das könnt ihr, aber sterben tun wir doch allein, ganz allein, ohne euch, beispielsweise bei der Rettung eines Kindes ; wir Fabian Kästners protestieren, heute, morgen, immer !

Fallada donnera le titre Jeder stirbt für sich allein à son dernier roman, écrit au lendemain de la seconde guerre mondiale : il y racontera la lutte entreprise sans espoir, sans visée réparatrice aucune, dans l’unique intention de rester purs à leurs propres yeux, par un couple d’ouvriers vivant dans un profond isolement, contre le régime hitlérien. Combat sans impact, qui se terminera par l’arrestation et l’exécution de Otto et Anna Quangel.

Dans sa vie sous le Troisième Reich, Rudolf Ditzen, dont Hans Fallada était le pseudonyme en littérature, s’était dérobé à un sort de ce genre. Il avait même tenté maladroitement de composer. Il avait préservé de cette manière son existence et celle des siens.

Il manque jusqu’à présent une recherche qui aurait pour objet la « Fallada-Rezeption » en Allemagne nazie. En ce qui concerne la réaction défavorable du pouvoir hitlérien à l’égard de Wolf unter Wölfen, on trouve quelques indications, bien parcimonieuses, dans les études de Tom Crepon et de Reinhard Zachau26. La condamnation la plus explicite de la part d’un nazi dont nous disposions est heureusement assez longuement citée dans un recueil de documents et de jugements compilé par Dieter Mayer : Hans Fallada : « Kleiner Mannwas nun ? Historische, soziologische und literaturgeschichtliche Materialen zum Verständnis des Romans ». II s’agit d’une appréciation d’ensemble très négative, émanant d’un certain Eberhard Ter Nidden, et parue en 1941. Ter Nidden condamne tous les ouvrages de Fallada en bloc pour non-conformité à l’esthétique et à l’orientation politique prônées par le régime. Je me contenterai d’en extraire ces quelques lignes, qui, prouvent combien la conception qu’avait Fallada du personnage réparateur était éloignée du projet nazi, et pouvait même être ressentie par ses thuriféraires comme une provocation :

Dass die Bücher Falladas mit ihren Riesenauflagen innerhalb des deutschen Volkes (sie) immer noch einen Standpunkt vertreten, der weltanschaulich gänzlich untragbar ist, das fordert unseren schärfsten Widerspruch heraus. […] Was uns an den Büchern Falladas unmöglich und bekämpfenswert erscheint, ist also das völlig falsche Menschenbild und die Kleinheit des Geschichtswinkels, in dem Erscheinungen von Grösse keinen Platz haben. […] Wenn die Politik in die Handlung hineinspielt – wie das in Wolf unter Wölfen oder im Eisernen Gustav ja reichlich der Fall ist, so bleibt das doch völlig äusserlich. Es müsste ein unendlicher Abstand überbrückt werden, wenn aus diesen Büchern werden sollte, was sie ihrem Stoff nach sein müssten, politische Bücher. Kann doch die Forderung einer politischen Ansicht des Menschen kaum erfüllt werden von einem Autor, der die Umweltstheorie einerseits und das Menschenbild der Rousseauschen Aufklärung andererseits in so hohem Masse für sich verbindlich sein lässt. Die Bücher sind also, ganz abgesehen davon, dass sie uns weithin in die Sphäre übelster und gemeinster Sexualität führen, im höchsten Grade gefährlich, weil sie zahllose Leser in einer Anschauung des Menschen und der Geschichte festhalten, die der Nationalllsozialismus gerade in harten Kämpfen überwunden hat27.

Fallada se voyait décerner ainsi un dangereux certificat d’humanisme. Après la publication de Wolf unter Wölfen, il en a été réduit à publier, puisqu’il lui fallait vivre de sa plume, des textes délibérément inoffensifs, qui n’ont rien ajouté à sa réputation d’écrivain. Il reste que Jürgen Manthey a eu raison d’observer dans sa biographie de notre auteur :

Der Roman Wolf unter Wölfen ist in mehrfacher Hinsicht eine Überraschung. Einmal hat Fallada nun doch den Machthabern getrotzt. Ohne grosse vorherige Entschlossenheit, ja fast gegen seinen Willen28.

Notes

1  Cf. Ernst Glaeser : « Erik Reger. Zu seinem Roman Union der festen Hand » dans Die Literarische Welt, 21.08.1931, texte dans Weimarer Republik. Manifeste und Dokumente zur deutschen Literatur 1918-1933, hrsg. v. Anton Kaes, J.B. Metzlersche Verlagsbuchhandlung, Stuttgart, 1983, p. 194.

2  Cf. Reinhard K. Zachau, Hans Fallada als politischer Schriftsteller, Peter Lang, New York, 1990, p. 58.

3  J. Manthey, Hans Fallada und die unbewältigte Krise, « Frankfurter Hefte », 1963. Texte dans Hans Fallada.Werk und Wirkung, Sammlung Profile 3, hrsg.v. Rudolf Wolff, Bouvier Verlag Herbert Grundmann, Bonn, 1983, p. 117-124. Le passage cité se trouve p. 117.

4  Romane von gestern – heute gelesen. Klatsch, Kabale und Korruption.Rolf Schneider über Hans Falladas « Bauern, Bonzen und Bomben », « Frankfurter Allgemeine Zeitung », 07.09.1983.

5  Bauern, Bonzen und Bomben, « Die Literarische Welt », n°25, p. 6, 19.06.1931.

6  Cf. le chapitre « Warum Pinnebergs nicht wohnen, wo sie wohnen. Bilderzentrale Joachim Heilbutt. Lehmann ist abgesägt ! », dans la dernière partie : « Nachspiel. Alles geht weiter. »

7  Bauern, Bonzen und Bomben, Rowohlt Taschenbuch Verlag, 135-138. Tausend, 1991, p. 179.

8  Cf. Bismarck, Gedanken und Erinnerungen, Drittes Buch, Fünftes Kapitel : « Der Kronrat am 24. Januar » : « Ich warnte vor den Folgen (des kaiserlichen Erlasses) : Die Steigerung der Erwartungen und der niemals zu befriedigenden Begehrlichkeit der sozialistischen Klassen werde das Königtum und die Regierungsgewalt auf abschüssige Bahn treiben […] Die anständigen Arbeiter wurden natürlich in ihren Ansprüchen bestärkt durch den Glauben, dass die Haltung der höheren Staatsgewalt ihnen günstig sei. Dazu kam die Übereinstimmung der Reichstagsfraktionen im Wettkriechen vor dem wählenden Arbeiter auf dem Gebiet der angeblichen Schutzgesetzgebung. »

9  Bauern, Bonzen und Bomben, éd. cit., p. 81.

10  Ibid., p. 228-229.

11  Ibid., p. 389.

12  Ibid., p. 386 sq.

13  Ibid., p. 391.

14  Wolf unter Wölfen, Zweiter Teil : « Das Land in Brand », Erstes Kapitel : « Friede der Felder », section 1.

15  Ibid., section 9.

16  Wolf unter Wölfen, Erster Teil : « Die Stadt und ihre Ruhelosen », Sechstes Kapitel : « Das Gewitter ist vorbei, aber es bleibt weiter schwül », section 9.

17  Ibid., Zweiter Teil, Drittes Kapitel : « Such verloren ! », section 9.

18  Ibid., Erster Teil, Fünftes Kapitel : « Das Gewitter bricht los », section 1.

19  Même chapitre, section 9.

20  Ibid., Zweiter Teil, Viertes Kapitel : « Verloren und Verlassen », section 7.

21  Texte dans Tom Crepon, Leben und Tode des Hans Fallada, Mitteldeutscher Verlag, Halle und Leipzig, 1978, p. 221-222.

22  Wolf unter Wölfen, Zweiter Teil, Siebentes Kapitel : « Die Wunder der Rentenmark », section 7.

23  Erich Kästner, Fabian. Die Geschichte eines Moralisten, 1931, éd. Dtv 11006, 1989, 24.Kapitel : « Herr Knorr hat Hühneraugen. Die “Tagespost” braucht tüchtige Leute. Lernt schwimmen ! »

24  Description détaillée de cette manifestation dans Ernst Loewy, Literature unterm Hakenkreuz, Europäische Verlagsanstalt, Frankfurt-am-Main, 1966, p. 15-17. Voir aussi Luiselotte Enderle, Erich Kästner, rowohlt bildmonographien 120, p. 63 sq. : « Leben als verbotener Autor ».

25  Texte dans Erich Kästner. Werk und Wirkung, hrsg. v. Rudolf Wolff, Sammlung Profile 1, Bouvier Verlag Herbert Grundmann, Bonn, 1983, p. 54-60.

26  Crepon, op. cit., p. 223 ; Zachau, op. cit., p. 154. J’avais déjà terminé cet article lorsque j’ai pu consulter deux ouvrages dont j’avais ignoré l’existence : Caspar, Günther : Fallada-Studien, Aufbau Verlag, Berlin v. Weimar, 1988. Les recensions de Wolf unter Wölfen en Allemagne nazie sont évoquées p. 114-182 ; Terwort, Gerhard, Hans Fallada im Dritten Reich, Peter Lang, 1992.

27  D. Mayer, op. cit., p. 105-106.

28  Jürgen Manthey, Hans Fallada, rowohlt bildmonographien, p. 121.

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Pour citer cet article

Pierre Vaydat, « L’échec du personnage réparateur dans deux romans de Hans Fallada », Germanica [En ligne], 22 |  1998, mis en ligne le 31 janvier 2012, Consulté le 08 février 2012. URL : http://germanica.revues.org/1290

Auteur : Pierre Vaydat : Université Charles-de-Gaulle – Lille 3