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02/08/2009

Politique Culturelle en RDA

LA POLITIQUE CULTURELLE DU PARTI SOCIALISTE UNIFIÉ D'ALLEMAGNE

[Ce texte, donne un éclairage intéressant sur le rôle que tint Johannes R. Becher dans la politique culturelle du PSU dans la RDA. On sait que Johannes R. Becher fit beaucoup pour aider Rudolf Ditzen à se remettre à écrire et tenter par là de le sauver de l'abîme de la drogue vers lequel Rudolf Ditzen plongeait inexorablement. C'est Johannes R. Becher qui lui confia le dossier de la Gestapo concernant les époux Hampel, en octobre 1946. De ce dossier, Rudolf Ditzen en tirera un roman formidable : Jeder Stirbt fur Sich Allein (trad. fra. Seul dans Berlin, Plon, 1956). Nous n'avons pu retrouver, malheureusement, les références du site web qui proposait ce texte.]

 

RÉVOLUTION OU RESTAURATION ?
 LA POLITIQUE CULTURELLE DU PARTI SOCIALISTE UNIFIÉ D'ALLEMAGNE
DE 1945 A 19561

 

Marie-Elisabeth RÄKEL

 

1. Introduction 

 

Au printemps de 1945, peu avant son retour d'exil, alors que les Alliés découvrent et dévoilent au monde entier l'horreur des camps de concentration, Johannes R. Becher, écrivain et poète communiste, réfugié en Union soviétique après la prise de pouvoir des nazis en Allemagne, exprime à la fois la honte, l'humiliation et la colère profonde ressenties face à ce qui s'est produit dans sa patrie. Pour Becher, il n'y a pas de mots pour parler de ce qu'il nomme " sans aucun doute le plus grand crime qu'ait connu l'humanité " : " Chaque sentiment humain naturel commence par se défendre et se refuse à admettre que cette horreur soit réelle et humainement possible : c'est trop monstrueux pour être vrai! Nous sommes sans défense et sans paroles face à cette épouvante "2. Pour Becher, il est clair qu'il ne suffira pas de juger les coupables : le bilan du nazisme force les Allemands à examiner les fondements même de leur société, à remettre en question leur histoire et leurs traditions, à revoir de fond en comble leurs principes moraux, scientifiques et culturels. Pour Becher, qui deviendra bientôt l'un des politiciens de la culture les plus influents en zone d'occupation soviétique puis en République démocratique allemande, la substance même de l'Allemagne est atteinte.

Après la capitulation sans conditions des armées allemandes en mai 1945, l'Allemagne est divisée en quatre zones d'occupation, selon les modalités fixées lors des conférences des Alliés de Téhéran (novembre 43) et de Yalta (février 45). Les États-Unis, la Grande-Bretagne, la France et l'Union soviétique assurent l'autorité suprême en Allemagne. Les principes de base de l'occupation sont fixés lors de la conférence de Potsdam, du 17 juillet au 2 août 1945. L'objectif principal des Alliés est d'éliminer le nazisme et le militarisme allemands. Pour ce faire, ils s'entendent sur une politique de dénazification, de démilitarisation, de démocratisation et de décartellisation de l'Allemagne. Cependant, si ces concepts généraux font alors l'unanimité, il est rapidement clair qu'ils n'ont pas la même signification pour l'Union soviétique que pour les autres puissances occupantes. Ainsi pour les Soviétiques, la seule garantie véritable d'une éradication complète et durable du nazisme est l'institution en Allemagne d'un régime socialiste. Pour les dirigeants soviétiques, comme pour les militants communistes allemands, le capitalisme et l'impérialisme sont les principaux responsables de la déchéance morale du peuple allemand et des appétits impérialistes de l'Allemagne et donc, en définitive, du déclenchement de la guerre. Seule la fondation d'un État socialiste allemand, calqué sur le modèle de l'Union soviétique stalinienne, garantit l'atteinte des objectifs fixés lors de la conférence de Potsdam.

Les différences de vues entre les anciens alliés sont telles que les tensions initiales se transforment rapidement en crise. La guerre froide et la rupture entre les Alliés entraînent l'implantation en Allemagne de deux systèmes politiques, économiques et sociaux différents, puis finalement la fondation de deux États allemands distincts en 1949. En zone d'occupation soviétique, l'Administration militaire soviétique autorise dès le mois de juin 1945 la fondation de partis politiques démocratiques et antifascistes. Le parti communiste allemand (KPD puis SED)3 bénéficie du soutien des Soviétiques et parvient, grâce à des pressions, à la terreur et à des élections truquées, à occuper les postes clés et à prendre les commandes du pouvoir. Au sein du SED, ce sont les fonctionnaires allemands formés en Union soviétique et fidèles à Moscou qui ont une influence décisive.

Dans un premier temps, il n'est pas question pour le SED d'établir le socialisme en Allemagne, mais plutôt d'y effectuer un travail de mise à jour. En effet, l'Allemagne doit rattraper de façon accélérée ses échecs passés et parvenir, au moyen d'une phase de transition antifasciste et démocratique, au stade historique qu'elle aurait déjà pu atteindre en 1848, si la révolution libérale n'avait pas échoué. En zone d'occupation soviétique, les bases d'un nouvel ordre économique et politique sont donc mises en place de façon graduelle : les terres des criminels de guerre et des grands propriétaires fonciers sont confisquées et redistribuées, les grandes entreprises sont nationalisées, le système d'éducation est réformé, les partis politiques sont forcés à se regrouper au sein du " bloc antifasciste " dominé par le SED. Après la fondation de la RDA en 1949, le SED consolide sa position et exerce un quasi monopole du pouvoir au sein d'un État autoritaire. La " construction du socialisme " est proclamée officiellement en 1952, ce qui signifie concrètement un alignement de la RDA sur le modèle soviétique, une augmentation de la pression idéologique et de la répression envers tout opposant, une hausse des normes de production dans l'industrie ainsi que la collectivisation forcée dans le domaine agricole.

Pour Becher et les dirigeants communistes, les réformes économiques et politiques ne sauraient se passer d'un renouveau culturel, d'une rééducation intellectuelle et spirituelle du peuple allemand, car " cette catastrophe totale concerne l'homme allemand tout entier. Toute notre existence humaine et historique, la nation allemande dans son ensemble sont remises en question "4. Que signifie pour les dirigeants communistes la dénazification dans le domaine culturel et quelle est pour eux la valeur de la culture allemande après Auschwitz? Quelle ampleur devra avoir cette remise en question de l'histoire allemande? De quelle façon, pour les dirigeants, la culture du passé est-elle impliquée ou a-t-elle contribué à la catastrophe nazie et quel traitement doit-il être appliqué au patrimoine culturel? Nous verrons comment le désir d'un renouveau total de l'Allemagne, exprimé par les communistes allemands immédiatement après la fin de la guerre, se muera bientôt en une remise en vigueur du patrimoine culturel. En effet, malgré la volonté affichée par le SED de fonder une société entièrement différente, le parti ne pourra tourner le dos aux bienfaits de la tradition. Nous allons analyser les conceptions culturelles du SED au cours de la première décennie après la guerre et tenter de cerner la position du parti par rapport à la tradition, ainsi que de mettre en lumière les contradictions et les limites de la politique culturelle communiste. Nous nous pencherons pour ce faire sur les discours des principaux dirigeants ou sur les débats ayant eu lieu entre politiciens de la culture ou intellectuels sympathisants de la cause communiste, ainsi que sur les articles publiés dans les journaux quotidiens (Neues Deutschland) ou les périodiques culturels (Sonntag, Bildende Kunst, Neue Architektur, Aufbau) proches du parti.

 

2. Le renouveau

2.1 Pour une redéfinition de la culture

Dès 1945, une discussion s'engage parmi les intellectuels communistes et dans les revues et journaux contrôlés par le parti communiste sur la nécessité de redéfinir le concept de culture en Allemagne. Le leitmotiv de ce débat est que les élites et intellectuels allemands, faute d'avoir pu participer activement à la vie politique par le passé, ont cherché refuge dans la culture et ont fait de celle-ci une pure sphère de l'esprit, détachée de tout impératif pratique. À ce titre, le nazisme a donné une leçon aux intellectuels allemands, qui doivent maintenant comprendre que culture et politique sont inséparablement liées et qu'il n'existe pas de culture digne de ce nom sans responsabilité politique5. Dans un article intitulé " Un retour à l'idéal d'éducation allemand? ", Alfons Kauffeldt explique que l'idéal de l'érudition bourgeoise qui prévalait en Allemagne n'a pas empêché la catastrophe nazie et doit donc être révisé. D'après lui il faut également remanier l'éducation universitaire afin d'y intégrer davantage l'élément politique6.

D'autres s'efforcent de redéfinir le concept de la culture en revenant aux origines latines du mot. Dans une allocution qu'il a faite lors de la réouverture de l'université et qui a paru dans la revue littéraire Aufbau, Johannes Stroux7, nouveau recteur de l'Université de Berlin, explique qu'à l'origine, la signification du mot latin " cultura " venant de " colere " était le travail de la terre, c'était donc une tâche continue et non un état stable ou la somme de contenus et de produits. Pour Stroux, cette activité peut être comparée à l'évolution de l'homme qui, par un travail sur son esprit, s'élève au-dessus de la nature et par cette activité même raffine sans cesse ses aptitudes intellectuelles. Cette vision privilégie donc le côté dynamique du concept, aux dépens d'une définition statique de la culture telle qu'elle existait auparavant en Allemagne8. Dans son texte ayant pour thème le nettoyage et la dénazification du concept de culture, Victor Klemperer9 rappelle quant à lui, que le terme de culture s'appliquait à l'origine à la culture des plantes, qu'il s'agissait donc de raffiner et de développer des éléments donnés par la nature10.

Klemperer critique les conséquences néfastes de la tradition allemande, distinguant la culture (les choses de l'esprit) et la civilisation (l'évolution technique d'une société). Selon Klemperer, on ne peut séparer ces deux domaines, les innovations dans le domaine de la technique ou de l'habillement ayant également des implications culturelles, puisqu'elles contribuent au raffinement des mœurs. Klemperer propose de voir dans la culture et la civilisation le même phénomène, c'est-à-dire " l'épanouissement de qualités spécifiquement humaines qui dépassent un état de nature donné "11. Ces premières réflexions sur le concept de culture critiquent l'ancienne acception à plusieurs niveaux : le côté statique de la culture bourgeoise, sa fixation sur des produits plutôt que sur l'activité elle-même, son champ étroit, restreint uniquement au domaine de l'esprit, mais aussi son mépris pour les activités techniques et politiques de la vie quotidienne, rassemblées ici sous le terme péjoratif de civilisation, en somme son " étrangeté au monde " (Weltfremdheit).

 

2.2 Une révolution culturelle

Pour les fonctionnaires culturels du SED, cette redéfinition de la culture allemande possède également une composante sociale. Du 3 au 5 février 1946, lors de la Ire Conférence culturelle du Parti communiste allemand à Berlin (I. zentrale Kulturtagung der KPD), Wilhelm Pieck12 annonce dans son discours intitulé " Du renouveau de la culture allemande ", que le parti s'engage à faire profiter la population dans son ensemble des bienfaits de la culture : " Nous allons investir toute notre énergie pour que les masses populaires ne soient plus tenues à l'écart de l'activité culturelle et de la jouissance procurée par les biens culturels "13. Le parti communiste veut réaliser dans les faits ce qui n'était jusqu'alors qu'un slogan : "L'art au peuple ". Il s'agit, tel que le formule Pieck, de rendre

toutes les couches du peuple aptes à prendre part, à jouir des œuvres immortelles produites par les plus grands artistes contemporains, par les grands maîtres du passé et les grands génies de l'humanité, au moyen d'une éducation et d'une instruction solides et du déploiement de toutes leurs forces14.

Les communistes prônent une société juste et équitable dans tous les domaines : les richesses matérielles autant que spirituelles devront être distribuées, réparties au sein du peuple. Cette démocratisation des biens culturels n'est pas seulement la mise en pratique de principes éthiques, mais est présentée dans les textes comme la réalisation d'un droit acquis par le peuple il y a déjà longtemps. Dans son exposé, Anton Ackermann15 décrit la nature double de la culture. La culture est d'une part l'ensemble des biens matériels, engendrés par le travail d'un peuple, et d'autre part l'ensemble des biens de l'esprit, produits de l'activité des artistes et des savants. Pour Ackermann, ces deux aspects sont liés comme les deux faces d'une médaille : la culture, c'est aussi bien la littérature que des appartements décents pour le peuple. Cette définition de la culture a des conséquences importantes :

Comme la culture est l'ensemble des biens matériels et spirituels

d'un peuple, les travailleurs manuels et les travailleurs de l'esprit participent à leur création et à leur production. Les ouvriers comme les intellectuels, les paysans comme les artistes ont part à la création de la culture [...] Si le peuple laborieux dans son ensemble est créateur de la culture, alors les acquis de la culture lui appartiennent dans son ensemble16.

Cependant le SED ne se contente pas de prévoir la redistribution équitable de la culture. La définition large de la culture, faisant des travailleurs manuels des producteurs de culture au même titre que les artistes, entraîne une autre conséquence : " le renouveau culturel de l'Allemagne n'est pas le domaine exclusif de spécialistes de la culture ni de professions particulières mais l'affaire du peuple laborieux dans son ensemble "17. Le peuple ne sera donc pas confiné dans un rôle passif de consommateur culturel, mais sera au contraire le principal décideur des questions culturelles. Son jugement et ses vœux seront déterminants pour le choix des œuvres et le financement des artistes. Cette nouvelle participation du peuple aux décisions culturelles est la condition du renouveau culturel allemand. Alors qu'autrefois l'artiste recevait sa commande des classes aisées, il est maintenant engagé par le peuple, travaille donc pour un nouveau patron, dont il devra respecter les vœux : " À l'avenir, les acheteurs des œuvres [des travailleurs de l'esprit] ne seront plus une petite minorité privilégiée capitaliste, mais le peuple, le public. Cependant, le peuple juge la littérature et l'art selon des critères nouveaux "18.

L'objectif affirmé de la politique culturelle est de renouer le lien naturel, quasi organique, entre le peuple et la culture. Les expressions utilisées ici sont celles des " racines populaires de la culture ", de " l'enracinement de l'art au sein du peuple ", " de la source populaire de tout art ". Ainsi Walter Ulbricht19, présentant en octobre 1951 le plan quinquennal devant la Chambre du peuple, cite Lénine :  " L'art appartient au peuple. Il doit avoir ses racines les plus profondes dans la large masse laborieuse. Il doit être compris et aimé d'elle "20. La culture véritable naît ainsi d'une sorte d'osmose entre le peuple et ses artistes. Le rôle de l'artiste est d'être à l'écoute de son peuple et de transcrire ses états d'âme et ses pensées. Le rôle créateur de l'artiste est réduit à un minimum et celui-ci est plutôt la caisse de résonance de l'imaginaire populaire, il doit " retrouver la terre maternelle du peuple "21. L'instinct populaire est idéalisé, devient une garantie de la qualité artistique. Le parti mise également sur la créativité du peuple pour faire éclore une nouvelle culture socialiste. Otto Grotewohl22, traçant en juin 1955 un bilan de la politique culturelle, est persuadé qu'en RDA " la source vigoureuse et jamais tarie du peuple a été libérée de ses freins et le rôle créateur de la masse des travailleurs, unis aux travailleurs intellectuels, a été révélé "23.

 

2.3 Les ruines de la culture

Toute réflexion des fonctionnaires communistes sur la culture dans les premières années de l'après-guerre s'articule autour du paradoxe du passé culturel prestigieux de l'Allemagne et de sa déchéance sous les nazis. Dans un discours prononcé en septembre 1948, lors d'une " semaine de la culture " à Erfurt, Otto Grotewohl évoque ainsi le contraste offert par la ville de Weimar, ayant abrité Goethe mais aussi, un siècle plus tard, les fours crématoires du camp de concentration de Buchenwald. Dans les textes et discours, la valeur de la culture allemande après Auschwitz est questionnée. En effet, peut-on encore s'appuyer sur la tradition, sur le patrimoine culturel dans la reconstruction du pays? Grotewohl s'interroge : " Les traditions anciennes ne sont-elles que les étapes préparatoires de l'effondrement, de la catastrophe, du chaos dans lequel le peuple allemand a été précipité? Ces traditions, qui ont accouché du IIIe Reich et du bilan de 1945, ne sont-elles pas réfutées à tout jamais? "24.

Dans un premier temps, le jugement porté sur le patrimoine culturel est sévère et radical. Le national-socialisme étant présenté comme l'aboutissement d'une évolution amorcée de longue date, l'origine du désastre est recherchée dans le passé allemand. Selon Johannes R. Becher : " la catastrophe hitlérienne est la banqueroute totale et finale de toute notre évolution historique "25. Becher n'utilise pas, en parlant de 1945, le terme de défaite (Niederlage), mais plutôt celui de " défaite totale " (" Totalniederlage "26) pour bien souligner, à l'aide de ce terme, qu'il ne s'agit pas seulement d'une défaite militaire, mais d'un phénomène qui dépasse tout ce que l'Allemagne a pu connaître auparavant : " Cette défaite n'est pas n'importe quelle défaite, on ne peut la comparer à aucune autre défaite de notre histoire : elle est unique au monde par l'ampleur de la faute et par la profondeur de l'humiliation "27.

La première tâche que s'assignent les responsables culturels communistes est une révision détaillée de l'histoire allemande : de quel passé l'Allemagne peut-elle se réclamer, quels régimes, quelles pensées, quels éléments ont mené l'Allemagne au nazisme et doivent être dénoncés et éliminés de la tradition? Dans son ouvrage Der Irrweg einer Nation. Ein Beitrag zum Verständnis deutscher Geschichte28 (L'égarement d'une nation. Une contribution à la compréhension de l'histoire allemande) Alexander Abusch29 se donne pour but de trouver ces moments clés de l'histoire allemande. Pour Abusch, l'échec de la révolte des paysans de 1525, la naissance de l'État prussien au XVIIe siècle, l'échec de la révolution libérale de 1848 et du premier parlement allemand à Francfort, la fondation du Reich allemand par Bismarck sont autant d'étapes qui préparent l'avènement du nazisme et scellent le destin de l'Allemagne. Cette " théorie de la misère " (" Miseretheorie "), d'après laquelle l'histoire allemande consiste en une série d'échecs successifs et une marche vers la faillite finale, est l'interprétation officielle qui prévaut dans les années 1945-1946.

Selon les fonctionnaires et dirigeants communistes, la situation de l'Allemagne est exceptionnelle ou nouvelle, dans le sens où, pour la première fois, la culture allemande, les traditions de pensée elles-mêmes sont discréditées. Lors de la Ire Conférence culturelle du KPD, Wilhelm Pieck explique que l'Allemagne a déjà connu, par le passé, des défaites et des périodes difficiles. Cependant, même après les guerres les plus violentes et les catastrophes les plus graves, la culture restait une source de réconfort, d'optimisme, de foi en l'avenir. Les traditions culturelles gardaient leur validité et " la gloire de la culture allemande continuait à rayonner à travers la nuit du malheur ". Après le nazisme, même la culture doit être remise en question : " Cette couronne glorieuse, qui illuminait le monde entier et qu'avaient tressée du produit de leur génie les grands esprits allemands, a perdu ses feuilles et est couverte de honte et d'infamie "30.

La substance culturelle de l'Allemagne est donc remise en question. Ce sentiment de perte culturelle, cette remise en question de la substance même de l'Allemagne est présente sous la forme d'une métaphore qui revient dans presque tous les textes portant sur la culture dans les premières années de l'après-guerre. L'expression " les ruines de la culture " (" Ruinen der Kultur ") ou l'affirmation suivante " la culture est en ruines " deviennent un lieu commun qui sert en général d'entrée en matière, de constat précédant toute réflexion sur la culture. Une des parties de l'allocution de Wilhelm Pieck, tenue à l'occasion de la Ire Conférence culturelle du KPD, est ainsi intitulée " les champs de ruines de la culture " (" Ruinenfelder der Kultur "). Pieck y décrit les " ravages horribles " causés par le nazisme dans le domaine culturel (" grauenhafte Verwüstungen ")31.

Diverses images apparentées s'ordonnent autour de cette figure centrale. La culture est symbolisée par un " tas de décombres " (" Schutthaufen der Kultur ") ou alors la culture est ensevelie sous les décombres (" verschüttete Kultur "). Dans le Sonntag, journal hebdomadaire de la " Ligue culturelle ", organisme créé sur l'instigation du SED et voué à la reconstruction culturelle, on peut lire que l'Allemagne, arrivée au point final de l'époque la plus malheureuse et la plus honteuse de son histoire, n'est plus qu'un amas de décombres sous lequel sont ensevelis les biens matériels de la nation mais aussi la raison32. Le paysage urbain de l'Allemagne de l'après-guerre devient une métaphore de l'esprit de chaque Allemand. Les ruines matérielles sont interprétées comme une projection extérieure, une image de l'état spirituel de la nation: " La vie spirituelle du peuple offre le même spectacle désolant que son environnement extérieur : celui d'un champ de ruines "33. Johannes R. Becher nous offre une autre variante stylistique dans laquelle " les ruines, les tombes et les champs de bataille sont partout et ce même au plus profond de l'âme de chaque survivant "34. Becher crée également, sur le même modèle, de nouvelles expressions pour décrire l'état d'esprit de la population allemande : il s'agit  " d'effondrés spirituels " (" geistig Zusammengebrochene ") et de " sinistrés moraux " (" moralisch Ausgebombte "). Les responsables culturels du parti communiste se donnent pour tâche principale de " déblayer les esprits " (" Enttrümmerung auf geistigem Gebiet ")35.

Le discours des ruines de la culture, de la défaite totale de l'Allemagne se caractérise par une volonté englobante, par un jugement radical. Il s'agit du diagnostic de l'échec et de la mort d'une époque toute entière: " Une catastrophe aussi totale demande un bilan total, une révision générale, profonde et radicale de tous les aspects de la vie et du savoir du peuple allemand "36. Pour les fonctionnaires communistes, 1945 représente le point de chute de l'histoire allemande. L'année 1945 est perçue comme une arrivée, une sorte de butoir de l'histoire, la fin d'une voie sans issue. Il s'agit du dernier anneau d'une chaîne historique qui a mené l'Allemagne à sa perte, à un degré maximum de destruction, d'abjection et de honte37. Cette limite de nature quasi transcendante marque la frontière entre l'existence et la non-existence de l'Allemagne. Au-delà de ce point il n'y a plus rien : c'est la disparition pure et simple qui attend l'Allemagne38. Lors de la Ire Conférence de la Ligue culturelle en mai 1947, Becher réitère son avertissement : le peuple allemand présente les caractéristiques d'un peuple sur son déclin. La menace d'une disparition de l'Allemagne pèsera au-dessus du peuple allemand aussi longtemps que les causes du désastre n'auront pas été clairement déterminées39.

Après la victoire militaire sur le nazisme, la lutte n'est donc pas terminée. Le SED souhaite que les artistes et les intellectuels poursuivent cette guerre sur le plan idéologique, afin de débarrasser les cerveaux allemands des derniers vestiges nazis. Rien ne servira de reconstruire l'Allemagne matériellement si les mêmes idées continuent à hanter la population : " Sans un déblayage sur le plan mental, sans une nouvelle naissance morale de notre peuple, chaque effort de construction matérielle est condamné à l'échec à plus ou moins long terme "40. Dans les premières années, la politique culturelle est d'abord un service d'urgence de l'esprit. La rééducation a été préparée de longue date par les communistes puisque, déjà en 1944, des commissions de travail du KPD à Moscou, composées de fonctionnaires, d'artistes et d'intellectuels allemands exilés, déterminent les méthodes et les moyens qui seront employés pour accomplir cette tâche41. L'instrument principal du renouveau culturel est fondé en zone d'occupation soviétique en juin 1945, sur l'initiative de Johannes R. Becher. Le Kulturbund zur demokratischen Erneuerung Deutschlands (la Ligue culturelle pour le renouveau démocratique de l'Allemagne) rassemble des intellectuels et artistes de toute allégeance politique, se donnant pour tâche de panser les plaies spirituelles et intellectuelles des Allemands et de contribuer à l'établissement d'une nouvelle culture démocratique en Allemagne.

 

2.4 Pour un renouveau total

La réponse au diagnostic de l'échec total et à cette fin de non retour est donc nécessairement un changement d'orientation radical. Dans le discours, les termes de tournant, de volte-face, de conversion, de changement de direction (" Willensumkehr "42, " grundsätzliche Wendung der deutschen Wegrichtung "43) décrivent la réaction nécessaire pour remédier à la situation dans laquelle se trouve l'Allemagne de l'après-nazisme. Le pendant au discours des ruines de la culture est d'une part la critique totale des voies empruntées par le passé, l'éradication complète de tout ce qui aurait survécu à l'explosion finale et ensuite la construction d'un monde absolument nouveau, n'ayant rien de commun avec le passé : en somme un renouveau total. La réponse aux atrocités nazies ne peut être qu'un monde entièrement différent : " C'est parmi nous qu'est née l'épouvante qui a déferlé sur l'humanité. Seul un fou incurable ou un criminel entêté peut encore nier que chez nous et en nous les choses doivent changer du tout au tout "44.

Les textes et discours des dirigeants connaissent une inflation du mot " nouveau " et de tous ses dérivés tels renouveau (" Erneuerung ") ou changement (" Wandlung ", " Umwandlung "), ou même nouvelle naissance (" Neugeburt "). La nouveauté devient programme et se reflète dans les noms de journaux: le Neues Deutschland (Nouvelle Allemagne) est l'organe du parti, la Ligue culturelle est " La Ligue du renouveau démocratique ", les conférences culturelles portent des titres tels: " Du renouveau de la culture allemande " (" Um die Erneuerung der deutschen Kultur ") ou bien chez Becher : " Ressusciter " (" Auferstehen "). Il existe alors une vision métaphysique de l'histoire, selon laquelle seules deux voies complètement opposées s'offrent à la nation allemande : celle du bien absolu ou celle du mal absolu. Entre le paradis et l'enfer il n'y a pas d'autre choix possible. Ainsi l'édification d'un monde nouveau, différent en tout point de celui qui existait auparavant, devient une question de vie ou de mort pour l'Allemagne : " Sans un renouveau de l'âme et de l'esprit allemands, l'Allemagne n'aura pas d'avenir "45.

Plusieurs procédés stylistiques mettent en scène ce nouveau départ de l'Allemagne. L'impression qu'il est possible de se défaire définitivement des erreurs passées, d'éradiquer à tout jamais les formes de pensée responsables du nazisme, de faire tarir les sources des malheurs de l'Allemagne se traduit par des métaphores introduisant l'image d'une coupure nette et mécanique entre passé et présent. Les termes de nettoyage national de la culture et de déblayage sont communs46. Certaines tournures comparent le travail culturel à une opération chirurgicale. Il s'agit par exemple " d'enlever l'abcès malin du nazisme du corps de notre peuple "47. Les métaphores empruntées au domaine végétal ont pour objectif de " tailler les branches de la culture " ou bien même d'" anéantir le mal jusqu'à sa racine "48. Parfois même, on fait appel à des tournures décrivant un processus de type biologique : " il s'agit d'éliminer de notre présent les éléments nocifs du passé et de les excréter de façon complète "49. Le vocabulaire est aussi celui du bouleversement (" Umbruch "), de la rupture avec le passé (" radikaler Bruch "). La naissance de cette Allemagne nouvelle prend également la forme d'un rite de passage, d'un phénomène religieux. Le terme de la purification est le pendant de celui plus prosaïque de nettoyage: " Chacun a été infecté par cette calamité. Chacun doit se purger, se purifier, chacun doit devenir un autre "50. Tout Allemand, mais aussi l'Allemagne comme entité abstraite, doit donc passer par ce processus de transformation intérieure. Ainsi l'ancienne Allemagne doit se métamorphoser et donner naissance à une nouvelle Allemagne : " La mort devient métamorphose puis nouvelle naissance "51.

Alors que le discours de la coupure voit la culture comme un corps dont il suffit de couper la partie malade, celui de la métamorphose fait appel à un processus de conversion spirituelle. Le terme de résurrection utilisé par Becher dans son discours inaugural de la Ligue est sans doute le terme le plus fort utilisé dans ce contexte52. Le motif de la mort et de la résurrection se retrouve dans plusieurs textes et discours de Becher, en général dans la conclusion dramatique et chargée de pathos : " Faites ressusciter l'Allemagne! " (" Laßt Deutschland auferstehen! ")53. Il s'agit d'un appel à la population, d'une formule incantatoire qui utilise le mythe du Christ ressuscité, malgré la négation de la religion par l'idéologie marxiste, pour canaliser les émotions de l'auditoire et pour réunir toutes les forces au service de la reconstruction.

L'image des " ruines de la culture " vient encore soutenir et amplifier l'idée qu'un départ à zéro est possible. La destruction du monde ancien, de l'Allemagne d'avant la guerre, est telle qu'il est impossible de penser à une simple réparation des dommages. Le déblayage total des décombres s'avère être la seule solution praticable. Alfred Kantorowicz54 constate avec soulagement qu'il sera impossible de reconstruire tout ce qui a été détruit, mais que ceci est un avantage, car " nous voulons construire une Allemagne qui sera de fond en comble nouvelle, qui n'aura absolument plus rien de commun avec l'Allemagne qui portait déjà en elle le germe de la maladie mortelle du nazisme "55. Les ruines sont pour les communistes la garantie que rien ne sera plus jamais pareil.

Si les communistes insistent à ce point sur les décombres qui les entourent, c'est que ces ruines remplissent une attente bien précise, s'intègrent dans leur vision du monde et la confirment. Dans l'optique marxiste-léniniste de l'histoire en effet, le nazisme représente la phase suprême et finale de l'impérialisme, qui va laisser la place à un système entièrement nouveau et qualitativement différent : le socialisme. La destruction totale du pays est la confirmation de la réalisation de la prophétie marxiste. Les ruines acquièrent ainsi un sens bien précis puisqu'elles sont pour les communistes la preuve qu'une époque vient de s'achever et qu'une autre est en train de naître. Le leitmotiv des ruines crée et entérine ainsi la réalité tant attendue. Otto Grotewohl exprime cet espoir dans son discours d'octobre 1948 : " Si le capitalisme connaît, après son ascension et sa maturité, le déclin et la décadence, ceci signifie que l'humanité se trouve à l'aube d'une nouvelle époque culturelle. Cette époque est le socialisme "56.

Avant d'être, pour ceux qui y adhèrent, une confirmation de l'idéologie marxiste, le topos des ruines servira également au parti communiste à légitimer son pouvoir à l'extérieur, mais surtout auprès de ses propres membres. En effet, la prise de pouvoir du SED et les débuts de la RDA sont loin de correspondre à l'idéal communiste de la révolution, du renversement héroïque du pouvoir bourgeois par le parti, appuyé des masses prolétaires. La prise de pouvoir du SED est liée à l'occupation de l'Allemagne orientale par les armées russes. Le SED doit son pouvoir non au soutien du peuple, dans sa grande majorité hostile à l'occupation soviétique et au communisme, mais à l'appui de l'Armée rouge. Le SED ne peut donc pas s'appuyer sur un récit fondateur, sur un acte héroïque qui serait à l'origine de la République démocratique allemande. La révolution, le renversement de l'ordre ancien ou la libération n'ont pas eu lieu et ce qui est représenté par le SED comme une victoire est perçu par la population comme une défaite de l'Allemagne face à des armées étrangères. Le discours des ruines va jouer un rôle compensatoire, va remplacer le récit de la révolution.

 

2.5 Une nouvelle genèse

En effet, à défaut de pouvoir faire une révolution héroïque, le parti démontrera sa grandeur en construisant un monde nouveau à partir de rien. L'insistance sur la situation catastrophique de départ, sur la table rase, le degré zéro qui attendait les communistes, donne à leur action le caractère surhumain d'une nouvelle genèse. Les premières lignes de l'hymne de la RDA consacrent cette référence aux ruines originelles, leur impriment un caractère rituel : " Ressuscités d'entre les ruines et tournés vers le futur, laisse-nous, Allemagne, patrie unie, te servir pour le meilleur "57. Le SED a pu transformer ainsi l'expérience collective marquante de l'après-guerre, les efforts surhumains, le dénuement et les difficultés incroyables des premières années en un véritable mythe fondateur. Il s'agissait pour le parti de créer une identité collective autour de la " reconstruction " et de sublimer cette expérience en un exploit de solidarité nationale. Dans le discours d'inauguration de l'Académie d'architecture (Deutsche Bauakademie) de Walter Ulbricht, la participation à la reconstruction est le rite initiateur de la RDA :

Notre profonde gratitude aux déblayeuses, aux ouvriers de la construction et aux travailleurs, architectes, ingénieurs et techniciens ainsi qu'aux brigades de jeunes, qui ont déjà accompli de si grands exploits. Gloire et honneur aux milliers d'hommes simples qui par leur travail se sont révélés être les hommes des temps nouveaux58.

Ruines et construction forment un couple inséparable dans les discours. La construction est sans doute l'un des termes centraux de l'après-guerre et constitue la réponse du SED aux ruines engendrées par le nazisme. Dans le domaine culturel, la maison d'édition de la Ligue ainsi que la principale revue culturelle portent le nom de Aufbau (construction). Pour Becher, la mission de la Ligue, résumée en quelques mots est un " ouvrage national de libération et de construction "59. La construction de bâtiments, la remise en marche de la société ne constituent ainsi que la partie visible d'un principe plus profond. Le topos de la construction, l'insistance du SED sur les chantiers, sur la fondation de nouvelles institutions est utilisé comme illustration et comme preuve visible d'une conception particulière de l'existence humaine. La reconstruction concrète n'est que l'image, la mise en scène visible d'un vaste système philosophique, basé sur l'a priori de la possibilité pour l'homme de connaître et de façonner le monde. Dans cette réflexion de Hermann Henselmann60 sur le rôle de l'architecte dans un régime socialiste, les deux faces du concept, c'est-à-dire la construction matérielle et le principe philosophique sont évoquées :

Le remplacement de ces ruines par les créations de nos artistes de la construction sera la preuve éclatante de la capacité de notre peuple de trouver la voie menant à un futur ordonné. Le succès dépendra de beaucoup de l'aptitude de nos architectes à surmonter le monde des ruines et du délabrement dans leurs têtes et leurs cœurs, par la foi en le pouvoir de l'ordre, garantissant la paix à l'humanité et la durée au bâtiments61.

Les communistes s'efforcent ainsi d'intégrer la catastrophe nazie et la défaite de l'Allemagne dans un récit ordonné, de lui donner une signification. Le marxisme-léninisme se présente comme une science de l'évolution de la société et fournit aux militants les bases rationnelles et objectives de leur interprétation, faisant du national-socialisme le sommet de l'impérialisme et donc la phase précédant l'avènement du socialisme. Chez Becher des analogies religieuses ou des arguments de nature darwiniste expliquent l'histoire de l'Allemagne. Le paradis culturel (Goethe et Schiller), la chute de l'Allemagne du paradis culturel, le péché culturel (Nietzsche, Schopenhauer, etc.), menant à la passion, à la mort (national-socialisme) puis à la résurrection (prise de pouvoir des communistes) constituent la trame de ce récit. Les souffrances de l'Allemagne conditionnent l'accès à une autre sphère : " Mais laissez donc enfin succéder au temps de la passion allemande une Pâque allemande, un jour de la résurrection "62. Le discours qui fait du règne nazi et de la guerre une passion allemande situe donc l'Allemagne de 1945 dans un scénario déjà écrit : il la place à un point de son histoire qui précéderait la résurrection, la renaissance communiste. Le discours appelle un salut obligé et imminent de l'Allemagne. Placées dans un tel contexte, les souffrances de l'après-guerre acquièrent une autre qualité et sont porteuses d'espoir. Chez Becher, la souffrance est transcendée. La défaite acquiert un sens plus profond, puisqu'elle marque le début d'une ascension : " Non, aucune larme n'a été répandue en vain, aucun sang n'a été versé inutilement si l'œuvre de la résurrection de l'Allemagne dans la liberté est accomplie "63. Le discours inaugure au milieu des décombres et des affres de l'après-guerre une nouvelle époque.

3. Le patrimoine

Cependant, le départ à zéro, rêvé par les communistes, s'avère rapidement impraticable. Face au vide de l'après-guerre, c'est le besoin d'identification, le besoin de s'appuyer sur des traditions demeurées valides qui prendra le dessus : " Nous regardons autour de nous et nous scrutons le passé et le présent afin de trouver ce qui pourrait nous aider à nous relever "64. Pour Becher il ne fait aucun doute que le peuple allemand découvrira le remède à son mal dans les œuvres de ses " bons génies "65. Le discours ne peut se passer de l'appel à la culture nationale classique. Goethe et Schiller, qui sont les seuls survivants de la catastrophe, servent ainsi de bouée de sauvetage à l'identité allemande.

3.1 Pour un sauvetage de la culture

Dans le discours, l'image des " ruines de la culture " connaît ainsi d'autres emplois. En effet, l'image de " la culture en ruines " est parfois remplacée par une tournure moins radicale : la culture allemande est ensevelie sous les décombres, mais respire encore. Il faudra, dans un travail de sauveteur voire d'archéologue la déterrer. Cette idée est présente dans un article du Sonntag du 10 novembre 1946, résumant le discours d'Alexander Dymschitz66, prononcé lors du Ier Congrès des artistes le 30 octobre à Dresde67. Dans un article du Sonntag du 28 juillet 1947, l'on trouve une pensée semblable exprimée différemment :   la culture allemande est un patrimoine hérité d'une époque heureuse de l'histoire allemande et même après douze années de nazisme, cette grande culture allemande continue à être vénérée par l'humanité. La culture classique, le seul capital restant à l'Allemagne après la catastrophe, est aussi la seule raison pour laquelle l'humanité à décidé de laisser subsister le peuple allemand malgré toutes les atrocités dont il s'est rendu coupable68.

Pour Johannes R. Becher, un des engagements les plus importants pris par la Ligue lors de sa fondation, était de redécouvrir les trésors enfouis du génie allemand : " Nous sommes profondément pénétrés de la conviction que sous les montagnes de débris reposent de tels trésors éternels et que le sauvetage de ce bien précieux signifie aussi la libération de notre peuple de sa misère spirituelle et morale "69. À la différence du discours qui faisait de toute la culture allemande une montagne de ruines et qui voyait dans le nazisme la disqualification de toute la culture allemande passée, on nous parle ici d'une opération de sauvetage d'une culture atteinte par Hitler, mais non viciée dans sa substance. La grande culture allemande dont il est question ici, c'est-à-dire les œuvres d'un Goethe, Schiller ou Beethoven ont survécu au désastre.

Que " la culture continue à respirer sous les décombres " ou qu'il faille la " réveiller d'un long sommeil "70, ces tournures consacrent la culture classique comme une valeur indiscutable de l'histoire allemande. Ce n'est pas la culture classique qui devra être nettoyée, contrôlée, mais bien le peuple allemand, qui l'a rejetée. Selon cette interprétation, la culture cesse d'être le produit d'hommes et d'une époque, elle est élevée sur un piédestal et est pour ainsi dire divinisée. La culture classique devient une référence, un canon, un point d'orientation dans le chaos de l'après-guerre, un lieu idéal situé en dehors de la société et non atteint par les remous de l'histoire. Les écrivains, compositeurs et philosophes consacrés, faisant partie de ce précieux patrimoine, sont qualifiés de " génies ", et bénéficient d'aptitudes surhumaines. Le peuple allemand qui a trahi sa culture doit d'abord se montrer à nouveau digne d'elle : " Nous devons d'abord mériter à nouveau notre héritage culturel déshonoré, par un travail sur nous-mêmes, par nos propres efforts "71. Plutôt que de remettre en question toutes les traditions allemandes, de chercher quelle a pu être la contribution de la culture à l'émergence du nazisme, ou encore de scruter le passé dans son intégralité, un traitement discursif moins radical distingue donc traditions culturelles positives et traditions a priori négatives.

 

3.2 Un recyclage de la culture

Le dilemme, que reflètent après la guerre des formulations ambiguës telles " les ruines de la culture " / " sous les ruines la culture respire encore ", va se perpétuer dans la politique culturelle de la RDA, qui oscille entre l'option de l'appropriation de l'héritage bourgeois par le peuple et la création d'une culture totalement nouvelle. Cependant, il est clair que le projet du nettoyage et du tri de la culture allemande prend nettement le dessus sur les projets de destruction totale du passé, de reniement de toute tradition, de rejet et de déblayage intégral. La formule d'un départ à zéro n'est bientôt plus envisagée : les fonctionnaires sont d'accord sur le fait qu'il est possible d'opérer une sélection parmi les produits culturels. Certains seront certes envoyés à la décharge de l'histoire, mais d'autres pourront être recyclés et apporter leurs bienfaits à la nouvelle société qui est en train de naître. Même après la IIe Conférence du Parti socialiste unifié(II. Parteikonferenz) et la décision d'édifier le socialisme en RDA, le SED n'optera pas pour une révolution culturelle, mais plutôt pour une restauration des biens et pour un renouveau sur la base de traditions plus anciennes.

Ainsi la notion d'héritage (Erbe) devient un élément central du discours culturel, ceci malgré le fait que ce concept tire son origine de réalités matérielles et sociales propres au monde bourgeois et même féodal. Selon Pieck, il semble que la culture allemande possède encore des réserves insoupçonnées :

Nous devons créer les conditions et fournir les garanties pour que les idées sublimes des grands hommes de notre peuple - idées représentées aussi par les plus grands hommes de tous les peuples et de toutes les époques - c'est-à-dire les idées d'une humanité réelle, profonde et combative, de la vraie liberté et de la démocratie, l'idée de l'entente entre les peuples et du progrès social, deviennent enfin véritablement les puissances dominantes de notre vie culturelle et les forces vivantes qui orientent toute notre vie politique et sociale72.

Pour Otto Grotewohl non plus, il n'est pas question de jeter par dessus bord tous les éléments de la culture allemande. Il évoque en 1948, lors du Ier Congrès culturel du SED, la possibilité de sauver certains produits culturels. Après s'être arrêté longuement sur la nécessité de retracer l'origine du nazisme dans la pensée et la tradition allemandes, il note la présence d'éléments positifs qui pourraient être rescapés du désastre et même aider les Allemands dans leur renaissance :

Où se situe donc le patrimoine culturel qui nous servirait de point de départ et nous permettrait de surmonter ces tendances intellectuelles auxquelles nous autres, socialistes et démocrates, sommes farouchement opposés? Quels sont les courants intellectuels qui, parce qu'ils représentent des intérêts qui sont les nôtres, pourront être acceptés de nous. Et quels seront ceux que nous rejetterons, parce qu'ils sont les précurseurs et les artisans de l'attitude intellectuelle qui a mené en fin de compte à la dictature fasciste et nous a entraînés à l'abîme?73

Becher partage cette vision d'un grand ménage de la culture allemande. Dans son " Discours pour Munich " de 1946, il établit la nécessité de " redécouvrir les nombreux éléments positifs de notre histoire " et d' " éliminer complètement les éléments nocifs du passé "74. En triant les objets du passé, en décidant de leur destruction ou de leur sauvegarde, le SED veut constituer activement une nouvelle mémoire, une nouvelle histoire du peuple allemand et ainsi l'orienter vers un avenir différent. L'héritage du passé ne sera pas intégré tel quel, sans questionnement, mais sera soumis à une inspection rigoureuse. Il s'agit d' " examiner et de réévaluer le patrimoine intellectuel "75. Le parti se réserve le droit d'accepter ou de refuser l'héritage qui lui a été légué et d'agir sans fausse piété en détruisant ce qui est dangereux ou désuet.

Dès 1945, dans son discours du 3 juillet lors de la première manifestation de la Ligue, il est clair pour Johannes R. Becher que certains éléments de la succession seront acceptés avant même d'avoir fait l'objet d'un inventaire exhaustif : " Pour ce grand départ, nous pouvons nous réclamer des grands génies de notre peuple, qui nous ont transmis un riche patrimoine humaniste "76. Becher précise que cet héritage bénéfique est constitué avant tout par les produits culturels de l'époque humaniste et classique, mais il mentionne aussi la culture développée par le mouvement ouvrier allemand. Ces éléments vont rester, dans les années suivantes, les références obligées de la tradition allemande. Dans ses directives de 1945 (Leitsätze), la Ligue préconise certes la destruction de l'idéologie nazie, mais elle exige l'examen des forces positives et négatives de l'histoire allemande et " la redécouverte et la promotion des traditions authentiquement nationales, humanistes et libérales de notre peuple "77. Anton Ackermann se prononce même, de façon explicite, lors de la Ire Conférence culturelle du KPD contre une révolution culturelle, contre un bouleversement trop radical : " Le renouveau de la culture allemande ne signifie en aucun cas le déblayage complet de tout ce qui nous a été transmis et la création de quelque chose de totalement nouveau "78.

Comment les fonctionnaires justifient-ils cette récupération, comment expliquent-ils que d'une part tous les biens ne soient pas contaminés par les germes du nazisme et que d'autre part cette culture ancienne puisse jouer un rôle dans une nouvelle société contrôlée par la classe ouvrière? Si, comme le veut la théorie marxiste, la culture d'une époque est le reflet de l'idéologie de la classe dominante et si elle sert les intérêts de cette classe au pouvoir, quel bénéfice la classe ouvrière pourra-t-elle tirer de la culture bourgeoise du classicisme de Weimar et quelle signification aura-t-elle pour la classe ouvrière? Pour les fonctionnaires du SED, l'histoire se présente comme une guerre entre le progrès et la réaction. En tous temps certaines forces, tendances ou idéologies auraient tenté de stopper l'évolution vers le progrès, tandis que d'autres auraient essayé de l'accélérer. Ceci a des conséquences importantes pour le traitement du patrimoine :

S'il est vrai que l'histoire est une lutte incessante entre les forces de la réaction et du progrès, alors il est clair qu'on ne pourra ni refuser ni accepter totalement le legs de l'histoire et les traditions d'un peuple. Il y a des traditions réactionnaires, qui freinent l'évolution actuelle de la nation [...], mais il y a aussi des traditions qui la promeuvent.79

Le critère de sélection, comme l'explique ici Ackermann, c'est-à-dire les éléments qui détermineront l'attitude du KPD envers certaines personnes, certains mouvements ou produits culturels, sera leur rôle dans l'histoire, c'est-à-dire leur position dans la lutte pour le progrès. Il existe donc également une continuité culturelle dans l'histoire, puisque les forces progressistes héritent des acquis positifs de l'époque antérieure et poursuivent le travail accompli. Lors d'un congrès organisé par la Confédération des syndicats allemands libres (Freier Deutscher Gewerkschaftsbund : FDGB) pour les travailleurs, afin que ceux-ci se familiarisent avec Goethe et

fassent connaissance de cet homme et de ses grandes œuvres, cet homme qui est pour nous le modèle d'une tradition classique immortelle, tradition qui grâce à son contenu spirituel et humaniste va soutenir de façon significative la lutte pour le renouveau moral et intellectuel de notre peuple80,

le fonctionnaire culturel Stefan Heymann81 tient un discours intitulé " Les classiques de Weimar et nous ". Selon Heymann, la nouvelle culture pour laquelle lutte le SED " ne tombe pas du ciel ". Elle est plutôt l'aboutissement d'une évolution des valeurs culturelles, selon les lois de l'histoire. En rappelant au peuple, à l'occasion du 200e anniversaire de la naissance de Goethe, la signification de cet homme, en rendant vivante sa pensée, le SED construit les fondations pour la mise en place d'une nouvelle culture. Pour Heymann, le marxisme ne mérite donc pas qu'on lui reproche d'être hostile à la culture passée. En effet, Lénine n'aurait-il pas écrit en 1920 :

Le marxisme a pris sa place dans l'histoire universelle de la pensée et figure comme idéologie du prolétariat révolutionnaire, non point parce qu'il a jeté par dessus bord les acquis précieux de l'âge bourgeois, mais plutôt parce qu'il s'est approprié et a assimilé tous les biens précieux et les œuvres bimillénaires de la pensée et de la culture humaine82.

Le fil conducteur du progrès permet d'établir une filiation directe entre la classe ouvrière, l'héritière de tous les biens culturels, et les grands poètes et écrivains classiques. Si la société dans laquelle vivait Goethe était encore réfractaire à ses idées, la classe ouvrière quant à elle a repris le flambeau :

Engels a dit un jour que la classe ouvrière allemande était fière de descendre de Kant, de Fichte et de Hegel. Aujourd'hui nous pouvons dire de façon plus générale que notre fierté réside également dans le fait de pouvoir compter Lessing, Schiller et Goethe au nombre de nos ancêtres83.

En 1955, dans sa prise de position officielle à l'occasion du 150e anniversaire de la mort de Schiller, le Comité central du SED proclame : " Dès les débuts de son histoire, le mouvement ouvrier socialiste allemand s'est toujours perçu comme le véritable héritier des idées les plus nobles de ce grand poète allemand "84. La prise de parti du SED pour le patrimoine s'accompagne, dès 1948, d'une campagne agressive contre le " formalisme ", c'est-à-dire contre les mouvements artistiques du début du siècle, contre l'art d'avant-garde en général, qu'il s'agisse de l'expressionnisme, de l'art abstrait, du surréalisme ou du dadaïsme, mais aussi contre l'art révolutionnaire des années vingt.

 

3.3 L'appropriation du patrimoine

L'appropriation du patrimoine par la classe ouvrière n'est pas un luxe superflu, mais bien une absolue nécessité. Un numéro spécial du Sonntag,consacré au 80e anniversaire de la naissance de Lénine reproduit un extrait d'un de ses textes intitulé " Der Weg zur proletarischen Kultur " (Vers une culture prolétarienne). Pour Lénine, il est impensable d'être un bon communiste sans s'être approprié les trésors de la connaissance humaine. La culture prolétaire est en effet la somme des connaissances accumulées durant les époques féodales et capitalistes. Seule la connaissance de cette culture permet sa transformation et son développement vers un stade supérieur85.

La culture classique est donc vitale à la réussite du socialisme, elle est une sorte de réceptacle sacré de l'expérience humaine. Un culte des classiques se met en place en RDA, l'année étant ponctuée par les anniversaires de Goethe et de Schiller. Les personnalités qui ont droit aux honneurs sont en dehors de Goethe et Schiller, dans le domaine de la littérature, Lessing, Herder et Heine. Dans le domaine musical, Beethoven et Bach sont qualifiés de géants, de grands ancêtres et on mentionne également Brahms et Wagner86. En peinture, on rencontre souvent les noms de Holbein ou de Dürer. Dans les premières années après la guerre, ces valeurs sûres sont l'enseigne du parti et sont un gage de respectabilité. Le patrimoine domine ainsi le paysage culturel. Dans cet esprit humaniste et classique, la première pièce de théâtre mise en scène en zone d'occupation soviétique après la guerre est Nathan der Weise de Lessing. Le parti s'applique également dès les premières années de l'après-guerre, à publier de nouvelles éditions des classiques, ceci afin de rendre les textes plus accessibles à la population. 1949, année du 200e anniversaire de la naissance de Goethe est proclamée officiellement l'année Goethe (Goethejahr). L'année 1955 sera baptisée de la même façon l'année Schiller (Schillerjahr).

Après une première sélection, les produits culturels valables doivent être soumis à un véritable travail de restauration ou de recyclage. Selon le SED, ces objets ne peuvent être utilisés tels quels par la classe ouvrière. Leur passage à travers l'époque impérialiste a laissé des traces, a en partie défiguré l'héritage. Selon la conviction du SED, il est possible de retrouver sous une couche de poussière ou de vernis bourgeois l'œuvre pure, véritable, telle que l'a voulue son auteur. L'idéologie officielle de la RDA rejoint ici au moins dans les termes l'objectif premier de la philologie bourgeoise du XIXe siècle, qui était de restituer par la critique textuelle le texte original dans des éditions complètes dites " critiques ".

Le travail du SED est celui d'une " appropriation critique " (" kritische Aneignung ") ou d'un " traitement critique " (" kritische Verarbeitung "). Qu'il s'agisse de Goethe, de Schiller ou d'autres héros de la culture allemande, aucun n'a été épargné par le passage à travers l'époque impérialiste. Les fonctionnaires parlent ainsi de la profanation de l'œuvre de Schiller à l'époque bourgeoise, ou comme Becher, lors de son discours à l'occasion du 150e anniversaire de la mort de Schiller, le 9 mai 1955 au théâtre national de Weimar, d'une interprétation erronée : " Comme tous les Grands dont nous fêtons la mémoire, le personnage de Friedrich Schiller exige que nous approfondissions l'étude de son œuvre, que nous la libérions de toute interprétation erronée "87. Il est question, dans un autre discours de Becher, prononcé à l'occasion du 200e anniversaire de la naissance de Goethe, le 28 août 1949, au même théâtre national de Weimar, de libérer Goethe des mains de ses profanateurs : " Redécouvrir l'univers de Goethe, cela signifie libérer le libérateur des mains de ceux qui ont gaspillé de façon si infâme son héritage et qui en ont abusé si honteusement "88. Le nettoyage des œuvres de leurs scories bourgeoises est la première étape de la purification. Il faut ensuite replacer les œuvres dans leur contexte historique spécifique, afin d'avoir une image véridique de la pensée de l'auteur. Il ne s'agit donc pas de cacher les faiblesses des " grands génies ", mais de comprendre comment leur pensée s'inscrit dans une époque particulière et reste malgré tout prisonnière de celle-ci, tout en la dépassant.

En zone d'occupation soviétique, la discussion sur la valeur de la tradition en Allemagne après le nazisme vient se greffer sur des débats plus anciens en Union soviétique et au sein des partis communistes européens de l'entre-deux-guerres. Si la question mise de l'avant par le SED est celle du destin de la culture allemande après le nazisme, les réponses apportées se situent quant à elles dans le prolongement de réflexions que l'on retrouve dans les années vingt et trente et qui portaient sur le traitement à appliquer à la culture bourgeoise après une révolution communiste. Le choix de la politique culturelle en zone d'occupation soviétique d'accorder une priorité à l'héritage bourgeois n'est pas nouveau, mais suit de près un modèle déjà appliqué par l'Union soviétique.

Après la Révolution de 1917, on trouve en Union soviétique différents mouvements artistiques socialistes dont les conceptions de l'art sont fort divergentes. Dans les années vingt dominent des mouvements radicaux partisans d'une culture nouvelle et révolutionnaire. Le mouvement littéraire du Proletkult ainsi que les futuristes et les constructivistes dans le domaine de l'art veulent faire table rase du passé et attribuent à l'art une mission sociale et politique. Lénine est cependant hostile à ces mouvements et insiste sur la nécessité de s'approprier l'héritage bourgeois et non de le détruire89. C'est la conception de Lénine qui dominera après sa mort, alors que tous les mouvements d'avant-garde seront éliminés par Staline et qu'un style artistique conventionnel, tourné vers le passé prendra le dessus. Dans les années trente, la lutte contre les idées de l'avant-garde s'inscrit également dans la politique de front populaire menée par l'Union soviétique contre le fascisme, c'est-à-dire d'une alliance momentanée avec les partis bourgeois contre le fascisme en Europe. Dans le domaine de la culture, c'est la fin du radicalisme, l'accent est mis sur la défense des valeurs nationales et de la culture nationale.

Ces développements en Union soviétique influenceront les débats des intellectuels communistes dans l'Allemagne de la République de Weimar et puis durant l'exil. Bon nombre d'intellectuels allemands de gauche sont influencés par l'avant-garde soviétique : ainsi les théories littéraires de Bertolt Brecht et de Walter Benjamin prolongent les expériences de l'avant-garde soviétique. Leurs conceptions, qui remettent en question la vision de l'art comme simple reflet ou comme fait de conscience, donnent à l'art le statut d'une production matérielle, voient en l'artiste lui-même un créateur. Elles vont ainsi à l'encontre à la fois de la conception bourgeoise de l'art, mais aussi du modèle marxiste-léniniste classique de la base et de la superstructure, l'art devenant une réorganisation active et critique de l'expérience. Un débat sur la question de l'expressionnisme opposera ainsi le philosophe marxiste Ernst Bloch et le compositeur Hanns Eisler au marxiste Georg Lukács dans la revue littéraire Das Wort de 1937 à 1940. Ce débat porte essentiellement sur le modernisme, sur la compatibilité des principes esthétiques de l'avant-garde et de la tradition socialiste. Alors que Ernst Bloch et Hanns Eisler voient dans l'expressionnisme un mode de production artistique progressiste et plaident pour de nouvelles formes artistiques et pour un nouveau combat, Lukács considère comme sans valeur toute la littérature de l'époque impérialiste, puisqu'issue d'une époque décadente90.

En 1945 en zone d'occupation soviétique, le KPD doit d'abord collaborer avec les partis bourgeois et assurer ainsi peu à peu sa domination. L'instrument politique qui l'aide à réaliser ce projet est le Front uni des partis antifascistes et démocratiques, ou encore bloc Antifa, créé en juillet 1945 et réunissant tous les partis de la zone d'occupation soviétique sur la base du consensus antifasciste. Dans le domaine culturel et littéraire, les théories de Georg Lukács, qui devient après 1945 le critique littéraire le plus influent du bloc socialiste, jouent un rôle semblable. Bien qu'il ne vive pas en Allemagne mais en Hongrie, Lukács est présent en RDA par ses écrits, qui ont valeur de référence. Pour Lukács la littérature classique et le roman réaliste bourgeois du XIXe siècle représentent les sommets de la culture. C'est sur sa conception du patrimoine que s'appuie la politique culturelle de la RDA. En RDA comme dans l'Union soviétique des années trente, la priorité accordée au patrimoine s'accompagne de l'élimination des mouvements d'artistes communistes plus radicaux, du Proletkult et des traditions artistiques communistes développées durant la République de Weimar.

 

4. Conclusion

Au départ la culture classique et le patrimoine humaniste servent de plus petit dénominateur commun, de point de rassemblement idéologique pour les intellectuels socialistes et les intellectuels bourgeois. Le parti tente ainsi de réunir toutes les forces de gauche et tous les partis démocratiques pour les gagner au renouveau antifasciste et démocratique et si possible à la cause communiste. Comme le fait remarquer Manfred Jäger dans son ouvrage consacré à la politique culturelle en RDA, la fixation de la politique culturelle du SED sur la culture classique et humaniste n'est pas seulement une manœuvre tactique. Ce choix reflète également les préférences des fonctionnaires de la culture. Bon nombre d'entre eux sont d'origine bourgeoise (par exemple Alexander Abusch, Johannes R. Becher ou Alfred Kurella); la plupart sont attachés à la culture classique par goût personnel; certains fonctionnaires d'origine ouvrière sont fiers de connaître les classiques et de s'être cultivés en autodidactes. Il ne faut pas sous-estimer non plus le rôle des officiers russes chargés du domaine de la culture en zone d'occupation soviétique. Nombreux sont les témoignages qui évoquent leur admiration profonde pour la culture classique allemande et leur soutien actif pour la remise en marche de la vie culturelle91.

Le SED possède un grave problème de légitimité, puisqu'il n'aurait jamais pu conquérir le pouvoir sans l'aide des Soviétiques. Le parti tente de se débarrasser de son image de pantin des intérêts russes en investissant le champ national. L'engagement accru du SED pour le patrimoine culturel sert à démontrer à la population que le parti est le meilleur représentant des intérêts allemands. La culture classique est aussi l'arme privilégiée du SED dans la lutte qui oppose les deux gouvernements allemands pour le titre de représentant légitime du peuple allemand. Le SED se met en scène comme sauveteur de la culture allemande face à une RFA qui dilapide l'héritage culturel au profit de l'américanisation. Pour les fonctionnaires communistes, les soins apportés par la RDA à la culture classique et humaniste sont la preuve que la RDA est véritablement la " meilleure des deux Allemagnes ". Comme le montre Eberhard Kuhrt, la " théorie de la misère " qui règne dans les premières années et voit dans l'histoire allemande une série d'échecs est vite abandonnée car elle est de peu d'utilité dans cette lutte pour la légitimité. La RDA a besoin de fonder son existence sur une histoire et des traditions nationales positives, le SED doit pouvoir présenter un arbre généalogique digne de ses aspirations92.

Alors que dans les discours des dirigeants le peuple devait prendre possession de la culture, être non seulement le bénéficiaire, mais aussi le décideur des questions culturelles, il se trouve bientôt dans le rôle de digne héritier et d'administrateur du patrimoine. La révolution, la prise de pouvoir par le peuple est simulée lors de mises en scène habiles, alors qu'en réalité la politique culturelle du SED ne connaît qu'une seule forme : celle de l'octroi d'une culture choisie par le parti. La démocratisation radicale est limitée par le " rôle dirigeant " que s'attribue très tôt le SED. Bien qu'une facette du discours reste attachée à une vision héroïque de la libération, de l'émancipation d'un peuple innocent, passant du statut de victime de Hitler à celui de décideur, une autre image du peuple allemand, présente dans les discours, révèle les inquiétudes profondes du SED. Becher s'interroge par exemple sur " l'état idéologique et moral dans lequel nous allons trouver notre peuple allemand ". Son diagnostic n'est guère encourageant puisqu'il parle d'un " profond délabrement moral et d'un laisser-aller criminel, surtout chez les jeunes "93.

De plus, les fonctionnaires du SED sont conscients que la majorité des Allemands est hostile au communisme. Pour Becher, si le peuple allemand est maintenant opposé à Hitler, c'est seulement parce que celui-ci a perdu la guerre et non à cause de ses idées94. Ce peuple, considéré par les communistes comme ennemi intérieur et danger potentiel, peut-il dès lors jouer le rôle historique qui lui est dévolu par la théorie marxiste-léniniste? Comment lui confier dans ces conditions le flambeau de la révolution? Il est clair pour le SED que le peuple allemand doit subir une rééducation sévère et profonde avant de pouvoir prendre les responsabilités qui lui reviennent. Ceci justifie aux yeux des dirigeants que la politique culturelle de la République démocratique allemande soit d'abord une entreprise d'éducation plus que d'émancipation du peuple. Cette constellation restera sensiblement la même jusqu'à l'effondrement de la RDA en 1989, puisque le parti ne reconnaîtra jamais au peuple sa maturité et que celui-ci restera sous tutelle du SED. Lorsque le SED énonce sa vision : " la culture pour le peuple ", il s'agit donc d'abord d'un acte pédagogique, d'une donation de la culture au peuple allemand. Bien que le parti essaie à partir de 1957 d'inciter les ouvriers à devenir eux-mêmes des créateurs culturels - le mouvement de Bitterfeld a pour slogan : " Ouvriers à vos plumes! " (" Greif zur Feder Kumpel ") -, il s'agit d'une révolution décrétée par le parti qui de plus se soldera par un échec flagrant.

Le discours sur le rôle et la valeur de la culture allemande dans les premières années de l'après-guerre est donc marqué, d'une part, par un rejet total du passé, par le désir de mettre un point final et de construire quelque chose de totalement différent et, d'autre part, par le besoin de s'orienter dans le vide matériel et intellectuel de l'après-guerre. Après un débat sur les termes culture / civilisation, sur la conception marxiste de la culture et sur une révision nécessaire du concept bourgeois de culture, après un début de discussion sur la validité de la tradition après l'expérience nationale-socialiste, le patrimoine reprend rapidement ses droits. Dans les années cinquante, l'on peut dire que l'utilisation du terme de culture en relation avec les " grandes œuvres du passé " domine en RDA, au même titre que l'idéal bourgeois de l'homme cultivé, maîtrisant un canon culturel commun. En ce qui concerne la création artistique en RDA, le parti impose également un art réaliste, facilement compréhensible pour les masses et pouvant ainsi servir d'instrument de propagande. Sur le plan de la forme, l'art socialiste s'inspire essentiellement de l'art réaliste du XIXe siècle. Les réflexions menées par les mouvements révolutionnaires durant l'entre-deux-guerres sur la nécessité de développer un nouveau langage artistique et des formes d'expressions différentes, adaptées à une société communiste, sont abandonnées et même activement combattues.

 

 

Notes

 

1-Cet article est une version condensée des deux premiers chapitres de ma thèse de doctorat que je viens de soutenir (La politique culturelle de la RDA de 1945 à 1956 : l'échec d'un discours), effectuée sous la direction du professeur Paul Létourneau et déposée en septembre 1998. Ces recherches ont pu être réalisées grâce à une bourse de doctorat du CRSH et une bourse pour un séjour en Allemagne du FCAR.

2-Johannes R. Becher, " Hitlers Gassumpf ", Gesammelte Werke, Berlin, Aufbau-Verlag, 1978, Bd.16 (Publizistik 2), p.444.

3-Le Parti socialiste unifié d'Allemagne (SED) naît de la fusion du Parti communiste d'Allemagne (KPD) avec le Parti social-démocrate d'Allemagne (SPD) lors du congrès fondateur du SED les 21 et 22 avril 1946 à Berlin. Les présidents fondateurs du SED sont Wilhelm Pieck (KPD) et Otto Grotewohl (SPD). Soutenu par les autorités soviétiques, le KPD obtient cette fusion par la force, en dépit du désaccord des membres du SPD.

4-Johannes R. Becher, " Erziehung zur Freiheit. Gedanken und Betrachtungen ", Gesammelte Werke, Bd.16 (Publizistik 2), p.531.

5-" Vom unpolitischen Menschen ", Sonntag, 7 juillet 1946, p.1.

6-Alfons Kauffeldt, " Zurück zum deutschen Bildungsideal? ", Aufbau, 1946, p.31.

7-Johannes Stroux (1886-1954) : philologue, 1946 recteur de l'Université de Berlin, 1946 à 1951 président de l'Académie des sciences (DAW), plus tard vice-président. 1949-1954 député de la Chambre du peuple, membre dans les instances dirigeantes de la Ligue.

8-Prof. Stroux, " Vom Wesen der Kultur. Auszüge aus einer Ansprache zur Eröffnung der Universität ", Aufbau, 1946, p.111.

9-Victor Klemperer (1881-1960) : romaniste et germaniste, professeur à l'Université de Dresde, 1933 démis de ses fonctions par les nazis à cause de ses origines juives, interdiction de publier. 1945 professeur de philologie romane à Dresde, 1945/1946 KPD/SED, 1948 directeur de l'institut romaniste de la Humboldt Universität de Berlin, 1953-1957 député à la Chambre du peuple, membre du Conseil directeur de la Ligue, membre de l'Académie des beaux-arts. Les journaux intimes de Klemperer des années 1933 à 1945 viennent d'être publiés et ont été salués par la critique comme un témoignage unique du quotidien sous le national-socialisme. Victor Klemperer, Ich will Zeugnis ablegen bis zum letzten. Tagebücher 1933-1945, Berlin, Aufbau-Verlag, 1995.

10-Victor Klemperer, Kultur. Erwägungen nach dem Zusammenbruch des Nazismus, Berlin, Verlag Neues Leben, 1947, p.7.

11-Ibid., p.11. " Die Entfaltung der spezifisch menschlichen Fähigkeiten über den naturgegebenen Urzustand hinaus. "

12-Wilhelm Pieck (1876-1960) : co-fondateur du KPD en 1919, membre du Comité central, 1933 président du KPD, exil à Paris et en Union soviétique, co-fondateur du NKFD (Comité national de l'Allemagne libre), 1945 retour en Allemagne, cofondateur du SED avec Otto Grotewohl, présidence du SED avec Otto Grotewohl, président de la RDA, 1946-1960 membre du Comité central et du Bureau politique du SED.

13-Wilhelm Pieck, " Um die Erneuerung der deutschen Kultur ", Um die Erneuerung der deutschen Kultur. Erste zentrale Kulturtagung der KPD, 1946, Berlin, Verlag Neuer Weg, 1946, p.22.

14-Ibid., p. 23.

15-Anton Ackermann (1905-1973) : 1926 KPD, lecteur. Travaille dans la section allemande de l'Internationale communiste, membre du Comité central du KPD, 1935 Prague, 1940 Paris. Prépare le Front populaire allemand (Deutsche Volksfront). 1937 Brigades internationales, puis presse et radio à Moscou. 1943 : rédacteur en chef à la radio du Nationalkomitee Freies Deutschland (Comité national pour l'Allemagne libre). 1945 retour en Allemagne, 1946 membre du Secrétariat central et du Comité directeur du SED, responsable de la culture, des universités, de la presse, de l'éducation, de la radio. 1950-1954 député de la Chambre du peuple, 1953 perd ses fonctions pour complot, réhabilité en 1956.

16-Anton Ackermann, " Unsere kulturpolitische Sendung ", Um die Erneuerung der Deutschen Kultur, p. 37. 

17-Ibid., p.37.

18-" Bekenntnis und Verpflichtung... ", Neues Deutschland, 5 septembre 1948, p.5.

19-Walter Ulbricht (1893-1973) : 1912 SPD, 1919 KPD, membre du Comité central du KPD dès 1927, 1933 émigation à Paris, Prague, puis Moscou. Co-fondateur du Comité national de l'Allemagne libre. Retour en Allemagne en 1945, vice-président et membre du Secrétariat central du SED (1946-1950), membre du Bureau politique dès 1949, secrétaire général du SED 1950-1953, premier secrétaire du Comité central (1953-1971), député à la Chambre du peuple dès 1949, premier vice-président du Conseil des ministres 1949-1960, 1960 président du Conseil d'État.

20-Walter Ulbricht, " Vorlage des Gesetzes über den Fünfjahresplan vor der Volkskammer ", Neues Deutschland, 1er novembre 1951, p.5.

21-" Im Dienste des ganzen Volkes. Die historische Rolle der SED beim Aufbau unserer nationalen Kultur ", Sonntag, 23 juillet 1950, p.2.

22-Otto Grotewohl (1894-1964) : président de la Commission centrale du SPD en zone d'occupation soviétique, membre et président du Bureau politique du SED en 1946, président du Congrès du peuple en 1947, chef du gouvernement de 1949 à 1964.

23-Otto Grotewohl, Befreiung und Aufstieg der Volkskultur des demokratischen Deutschlands, Berlin, Aufbau-Verlag, 1955, p.18.

24-Otto Grotewohl, Gedanken zur Kultur, Weimar, Verlag Werden und Wirken, 1949, p.9.

25-Johannes R. Becher, " Zur Frage der politisch-moralischen Vernichtung des Faschismus ", Gesammelte Werke, Bd.16 (Publizistik 2), p.411.

26-Johannes R. Becher, " Bemerkungen zu unseren Kulturaufgaben ", Gesammelte Werke, Bd. 16 (Publizistik 2), p. 362.

27-Johannes R. Becher, " Zur Frage... ", p.409.

28-Alexander Abusch, Der Irrweg einer Nation. Ein Beitrag zum Verständnis deutscher Geschichte, Berlin, Aufbau-Verlag, 1946.

29-Alexander Abusch (1902-1982) : journaliste et ministre de la Culture. 1919 KPD, émigration en 1935 en Tchécoslovaquie, France, Mexique. 1946 retour en Allemagne, membre du Conseil directeur (Präsidialrat) de la Ligue, 1948-1950 membre du Comité directeur du SED, juillet 1950 perd toutes ses fonctions pour attitude pro-sioniste. 1951 retour à ses fonctions, à nouveau membre du Conseil directeur de la Ligue, membre du Comité de direction de l'Union des écrivains et de l'Académie des beaux-arts, 1953 division culture du Comité central, responsable des maisons d'édition. 1954-1956 adjoint du ministre de la Culture, son successeur en 1961.

30-Wilhelm Pieck, " Um die Erneuerung der deutschen Kultur ", p.13.

31-Wilhelm Pieck, " Um die Erneuerung... ", p.13.

32-Alfred Kantorowicz, " Vom moralischen Gewinn der Niederlage ", Sonntag, 4 mai 1947, p.1.

33-Otto Grotewohl, Gedanken zur Kultur, p.9.

34-Johannes R. Becher, " Erziehung zur Freiheit ", p. 527.

35-Johannes R. Becher, " Rede an München ", Gesammelte Werke, Bd.17 (Publizistik 3), Berlin und Weimar, Aufbau-Verlag, 1979 p. 12.

36-Johannes R. Becher, " Erziehung zur Freiheit ", p.530.

37-Johannes R. Becher, " Deutsches Bekenntnis ", Gesammelte Werke, Bd.16 (Publizistik 2), p.488.

38-Johannes R. Becher, " Erziehung zur Freiheit ", p.536.

39-Johannes R. Becher, " Wir, Volk der Deutschen ", Gesammelte Werke, Bd.17 (Publizistik 3), p.116.

40-Johannes R. Becher, " Rede an München ", p.12.

41-Gerd Dietrich, Politik und Kultur in der sowjetischen Besatzungszone Deutschlands 1945-1949, Bern, Peter Lang, 1993, p.17.

42-Otto Grotewohl, Gedanken zur Kultur, p.17.

43-Johannes R. Becher, " Zur Frage... ", p.432.

44-Johannes R. Becher, " Auferstehen! ", Gesammelte Werke, Bd.16 (Publizistik 2), p.461.

45-Otto Grotewohl, Gedanken zur Kultur, p.47.

46-Par exemple dans Johannes R. Becher, " Zur Frage... ", p. 403.

47-Alfred Kantorowicz, " Vom moralischen Gewinn der Niederlage ", p.1.

48-Johannes R. Becher, " Rede an München ", p.11.

49-Ibid., p.13.

50-Ibid., p.37.

51-Johannes R. Becher, " Auf andere Art so grosse Hoffnung ", Gesammelte Werke, Bd.17 (Publizistik 3), p.47.

52-Johannes R. Becher, " Auferstehen! ", p.454.

53-Johannes R. Becher, " Rede an München ", p.45. et aussi dans Johannes R. Becher, " Erziehung zur Freiheit... ", p.652.

54-Alfred Kantorowicz (1899-1979) : journaliste et historien de la littérature. 1931 KPD, 1933 émigration à Paris, guerre d'Espagne, interné en France, 1941 États-Unis, 1946 retour à Berlin. 1947 à 1949 édite la revue Ost und West, essai d'un dialogue entre les zones d'occupation occidentales et orientale. 1950 SED, professeur de littérature contemporaine à l'Université Humboldt de Berlin. 1956 refuse de signer la pétition de l'Union des écrivains contre le soulèvement en Hongrie, 1957 menace d'arrestation et fuite à Berlin-Ouest.

55-Alfred Kantorowicz, " Vom moralischen Gewinn der Niederlage ", Sonntag, 4 mai 1947, p.1.

56-Otto Grotewohl, Gedanken zur Kultur, p.37.

57-Dietrich Staritz, Geschichte der DDR 1949-1985, Frankfurt a.M., Suhrkamp Verlag, 1985, p.36.

58-Discours de Walter Ulbricht pour l'inauguration de la Deutsche Bauakademie, " Das Nationale Aufbauwerk und die Aufgaben der deutschen Architektur ", Neues Deutschland, 9 décembre 1951, p.6.

59-Johannes R. Becher, " Rede an München ", p.19.

60-Hermann Henselmann (1905-1995) : architecte le plus connu de la RDA, 1945 directeur de l'École d'architecture de Weimar, 1946 SED, 1951 membre de l'Académie d'architecture, responsable de grands projets tels la Stalinallee à Berlin (1952), 1954-1959 : architecte en chef de Berlin.

61-Professor Hermann Henselmann, " Der reaktionäre Charakter des Konstruktivismus ", Neues Deutschland, 4 décembre 1951, p.3.

62-Johannes R. Becher, " Rede an München ", p.45.

63-Johannes R. Becher, " Wir, Volk der Deutschen ", p.156.

64-Johannes R. Becher, " Versunkene Glocke ", Gesammelte Werke, Bd.16 (Publizistik 2), p.499.

65-Johannes R. Becher, " Auf andere Art... ", p.53.

66-Alexander L. Dymschitz (1910-1975) : officier pour la culture de l'Administration militaire soviétique (SMAD), 1945-1949 dirige la division culture de la SMAD. 1949 retour en Union soviétique.

67-Major Alexander Dymschitz, " Rückblick und Ausblick. Rede auf der Schlußsitzung des I. Künstlerkongresses gehalten am 30. Oktober 1946 in Dresden ", Sonntag, 10 novembre 1946, p.2.

68-" Kulturaustausch - Kultureinheit ", Sonntag, 28 juillet 1946. p. 1.

69-Johannes R. Becher, " Versunkene Glocke ", p.499.

70-Johannes R. Becher, " Wir, Volk der Deutschen ", p.123.

71-Otto Grotewohl, Gedanken zur Kultur, p.48.

72-Wilhelm Pieck, " Um die Erneuerung der deutschen Kultur ", p.19.

73-Otto Grotewohl, " Die geistige Situation der Gegenwart und der Marxismus ", Protokoll der Verhandlungen des I. Kulturtages der SED 1948, Berlin, 1948, p.32.

74-Johannes R. Becher, " Rede an München ", p.13.

75-Erich Wendt, " Die ersten fünf Jahre. Zum Jubiläum des Aufbau-Verlages ", Sonntag, 3 septembre 1950, p.7. Erich Wendt (1902-1965) : 1922 KPD, puis exil à Moscou. 1947 retour en Allemagne, SED. 1947-1954 dirige la maison d'édition Aufbau. 1949-1965 membre du Conseil directeur de la Ligue, 1950-1958 député de la Chambre du peuple, 1957 adjoint du ministre de la Culture.

76-Johannes R. Becher, " Auferstehen! ", p.461. 

77-Manfred Jäger, Kultur und Politik in der DDR 1945-1990, Köln, Verlag Wissenschaft und Politik, 1995, p.12. 

78-Anton Ackermann, " Unsere kulturpolitische Sendung ", p.47. 

79-Ibid., p.48. 

80-Die kulturelle Verantwortung der Arbeiterklasse, Berlin, Die Freie Gewerkschaft, Verlagsgesellschaft, 1949, p.3.

81-Stefan Heymann (1896-1967) : politicien de la culture. 1919 KPD, 1934-1945 prison et camps de concentration, 1945/1946 KPD/SED, 1946 secrétaire de la division culture de la direction régionale du SED en Thuringe, 1949-1950 dirige la division culture du Comité central du SED, 1950-1956 diplomate en Hongrie et en Pologne.

82-Lénine dans Stefan Heymann, " Das klasssiche Weimar und wir ", Die kulturelle Verantwortung der Arbeiterklasse, p.44.

83-Ibid., p.43. 

84-" Zum 150. Todestag Friedrich Schillers am 9. Mai 1955. Stellungnahme des Zentralkomitees der SED ", Neues Deutschland, 1 février 1955, p.1. 

85-" Der Weg zur proletarischen Kultur ", Sonntag, 23 avril 1950, p.9.

86-" Realismus - die Lebensfrage der deutschen Musik. Aus der Rede von Nationalpreisträger Prof. Ernst H. Mayer auf der Gründungskonferenz des Verbandes deutscher Komponisten und Musiktheoretiker ", Neues Deutschland, 5 avril 1951, p.3.

87-Johannes R. Becher, " Denn er ist unser : Friedrich Schiller. Der Dichter der Freiheit ", Gesammelte Werke, Berlin und Weimar, Aufbau-Verlag, 1981, Bd.18 (Publizistik 4), p.429.  

88-Johannes R. Becher, " Der Befreier ", Gesammelte Werke, Bd.17 (Publizistik 3), p.258. 

89-Henri Arvon, L'esthétique marxiste, Paris, PUF, 1970, p.57.

90-David Bathrick, The Powers of Speech. The Politics of Culture in the GDR, Lincoln, University of Nebraska Press, 1995, pp.87-98.

91-Manfred Jäger, Kultur und Politik in der DDR 1945-1990, p.19.

92-Eberhard Kuhrt, " Das ganze Erbe soll es sein. Die Erweiterung des Erbe- und Traditionsverhältnisses im Geschichtsbild der SED ", dans Eberhard Kuhrt et Henning von Löwis, Griff nach der deutschen Geschichte. Erbeaneignung und Traditionspflege in der DDR, Paderborn, Schöningh, 1988, p.36.

93-Johannes R. Becher, " Zur Frage... ", p.430.

94-Johannes R. Becher, " Erziehung zur Freiheit ", p.542.

 

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