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10/06/2022

Recension de Bauern, Bonzen und Bomben (1932)

Cette recension concise et, il faut le dire, élogieuse est parue dans Le Mercure de France, en janvier 1932, sous la plume de Jean-Edouard Spenlé.

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   C’est une tout autre note d’humanité que nous présente un roman de M. Fellada [1] où s’annonce brillamment une réputation littéraire naissante. Déjà le titre, aux consonances bizarrement répétées, éclate, telle une triple détonation : Bauern, Bomben und Bonzen [2] (Paysans, bombes et bonzes). Cette fois nous sommes jetés en pleine actualité et les événements racontés, avec des noms à peine changés, se sont réellement passés. Il s’agit d’une sorte de chouannerie provoquée dans ces dernières années dans les provinces du nord de la Prusse par les charges fiscales qui pèsent, de plus en plus écrasantes, sur la terre, véritable guerre civile qui a éclaté à la suite des saisies et des exécutions judiciaires ordonnées par le gouvernement « rouge » (socialdémocrate) prussien – opposant les campagnes aux villes, les travailleurs de la terre aux ouvriers des industries, les « noirs » qui arborent le drapeau noir de la guerre des Paysans du xvie , aux « rouges » momentanément maîtres en Prusse du gouvernement et la police – avec accompagnement de cortèges, de démonstrations sanglantes, de complots, de boycottages, d’attentats à la dynamite, et enfin de procès sensationnels. Mais plus que la matière même des événements, ce qui est nouveau dans ce roman c’est un réalisme d’une acuité inuïe, un art de filmer les intérieurs et es scènes populaires, les grouillements humains d’où se détachent se détachent tout à coup des gestes, des mots, des physionomies inoubliables.

   Dans ce récit de plus de cinq cent pages, intentionnellement décousu, mais entraîné par un rythme vertigineux, il n’y a pas une scène languissante, pas un point mort. Certes, nous sommes loin de la paisible mare stagnante dont naguère Heinrich Mann, dans son Untertan, retraçait la chronique scandaleuse sous le ci-devant régime impérial. Mais il faut reconnaître que pour voir cessé d’être stagnante elle n’en est pas moins restée bourbeuse. Froidement l’auteur braque son objectif sur le pullulement qui monte à présent de la vase à la surface.

   Il fait défiler sous nos yeux un chapitre, combien animé, de zoologie politique. Une figure pourtant, ou plutôt une silhouette à la Balzac, émerge, monumentale : celle du « bonze » nouveau style, ancien ouvrier révolutionnaire rallié au nouvel opportunisme gouvernemental de la Sozialdemokratie, le bourgmestre Gareis. C’est un cyclope informe, plus exactement déformé par son lourd travail d’usine, un mastodonte pataud et roublard, aujourd’hui confortablement installé dans un décor somptueusement administratif, et qui s’est révélé un merveilleux brasseur d’affaires, un manieur d’hommes incomparable, sachant tempérer son autoritarisme dictatorial par une verve toute populaire, par une jovialité formidable. Il voit clair, lui, dans les cerveaux futés, dans les esprits tortueux et dissimulés, il remue avec une dextérité incomparable toute cette fange humaine, et il se tire des situations les plus imprévues, les plus scabreuses, par des rétablissements stupéfiants, – jusqu’au jour où, tout de même, il glisse et trébuche à son tour sur l’inévitable pelure d’orange. Au fond, pas méchant du tout ; un gaillard sympathique plutôt, cet éléphant jovial. On dirait même un philanthrope à sa façon, un philanthrope cynique qui s’acquitte aussi proprement que possible de son emploi de « bonze » préposé aux destinées municipales, à la fois policier et vidangeur.

Jean-Edouard SPENLE

*

Source : Mercure de France, CCXXXIII, 1er janvier 1932, pp 218-219.

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[1] Sic ! [ndlr].

[2] Sic ! [ndlr].

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