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27/08/2012

Recension "En mi pais desconocido"

<version révisée et complétée – 25 août 2012>


Recension

Hans Fallada

En mi pais desconocido

Barcelona, Seix Barral, Coll. Los Tres Mundos, 2012

Paru en 2009, chez Aubau Verlag, In meinem fremden Land - Gefängnistagebuch 1944 a été traduit en espagnol et est paru chez Seix Barral à Barcelone.


L’histoire de ce livre est déjà en soi peu banale. Au soir du 28 août 1944, Rudolf Ditzen, après avoir bu considérablement, se dispute une nouvelle fois avec sa femme « Suse ». Mais cette fois-ci les choses vont trop loin. Il tire un coup de feu avec son pistolet, sans toutefois la viser. Elle s’empare de l’arme, frappe Rudolf à la tête, puis sort et court la jeter dans le lac, proche de la maison. Elle décide ensuite d’appeler un médecin, mais aucun n’est disponible. Alors c’est la police qui arrive et emmène Rudolf à Feldberg, le temps qu’il se calme. Tout aurait pu en rester là, sans la personne d’un jeune juriste zélé qui décide d’inculper Rudolf Ditzen pour mauvaise conduite envers sa femme. Il est mis en observation à la prison psychiatrique de Neustrelitz-Strelitz – une prison pour criminels atteints de maladies mentales – où il entre le 4 septembre 1944. Brisé, interdit d’écrire, dans une Allemagne qui court vers la défaite : Hans Fallada peut être considéré comme fini, sans autre issue que de mourir de mort lente. Pourtant, dans un sursaut de lucidité, il demande la permission d’écrire – son travail étant sa seule planche de salut. On lui accorde cette possibilité car, d’une part il n’a pas été condamné mais est là pour observation (ce qui dans une Allemagne qui pratique l’euthanasie sur les inutiles est toutefois loin d’être rassurant) et, d’autre part, parce qu’il doit fournir un scénario de film – projet approuvé par Goebbels lui-même.

Mais ce que Hans Fallada va écrire n’a rien à voir avec le scénario. Le manuscrit de 92 feuilles (soit 184 pages difficilement déchiffrables) contient le roman Der Trinker, trois nouvelles et un journal rétrospectif qui narre les années passées sous le régime nazi. En trois occasions seulement (entrées du 30 septembre, du 5 octobre et du 7 octobre), il y décrit brièvement ses conditions de détentions à la prison de Neustrelitz-Strelitz .

Durant toutes ces journées passées en prison, Hans Fallada va déjouer la vigilance de ses gardiens et les tromper sur le contenu véritable du manuscrit afin que celui-ci ne soit ni confisqué et encore moins détruit. 

C’est au cours d’une journée où il bénéficie d’une permission (1) qu’il arrivera à sortir le manuscrit, en le dissimulant sous sa chemise mais sans attirer l’attention des gardiens.

Ce manuscrit fera l’objet de publications partielles en 1946, puis en 1960. Mais la totalité du manuscrit sera longtemps mis sous clé à l’Académie des Arts de Berlin-Est, avant que la famille Ditzen n’autorise sa publication.

Il a fallu ensuite des années pour déchiffrer le manuscrit (Cf ci-dessous), l’auteur utilisant une écriture parfois microscopique, de nombreuses abréviations, des initiales pour les nom de personnes ou de lieux, etc) mais aussi en écrivant plusieurs histoires différents, sur des feuilles distinctes, sans toujours le mentionner ni numéroter les paragraphes. Aussi, faut-il féliciter pour leur travail méticuleux, Sabine Lange et Jenny Williams, deux spécialistes, de la vie et de l’œuvre de Hans Fallada (2) a qui il a fallu des années pour démêler cette pelote de fils de mots emberlificotés. 

 

Le fruit de leur travail est paru chez l’éditeur berlinois, Aufbau Verlag, en 2009. C’est ce même ouvrage qui a été traduit en espagnol, pour paraître en juin 2012 aux éditions Seix Barral, à Barcelone (3).                                                                       

 

 

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- une page du manuscrit -

 

Le journal En mi pais desconocido est complété par une très intéressante postface intitulée Lettre depuis la maison des morts, par Sabine Lange et Jenny Williams qui tentent de replacer le texte dans son contexte : aussi bien l’époque historique à laquelle il a été écrit mais aussi à quel moment de la vie de Hans Fallada cette période a correspondu. Cette mise en perspective s'avère absolument nécessaire pour donner au texte toute sa portée. On est presque tenté, en terminant la postface, de relire à nouveau le livre, avec un esprit mis en alerte... Et quel plaisir de céder à la tentation!

Enfin, signalons qu'un important et indispensable appareil de notes (175 au total) étaye utilement le texte. Il permet de rectifier des dates (en prison, Fallada écrit de mémoire et commet parfois quelques erreurs), de replacer certains faits dans leur contexte et, surtout, de présenter les personnes dont parle Fallada et du rôle qu’elles ont jouées dans sa vie.

oOo

Revenons au récit lui-même. C’est à n'en pas douter un écrit majeur : écrit sur le vif, dans des circonstances difficiles, il tient à la fois du souvenir (Hans Fallada passe en revue les dernières années de sa vie, comme s’il sentait sa fin prochaine – peut-être était-ce le cas ? - mais il n’en dit rien) et de la confession (comment a-t-il agit et pourquoi, quels ont été ses actes de courage mais aussi de faiblesse) voire de la justification - justification envers les siens (famille et amis) et envers ses lecteurs...

Comme souvent dans ce type de récit, les aveux sincères se mélangent avec les justifications un peu légères. Toutefois, il est un point marquant qui donne au livre une intensité réelle : Hans Fallada n'hésite pas à dénoncer, à plusieurs reprises en plus, le régime et les méthodes national-socialistes sans retenue. Des dénonciations qui, si les gardiens de la prison avaient décidé de passer le manuscrit au peigne fin, auraient coûté la vie à leur auteur. Inconscience ou courage ? les deux peut-être ? Sans doute aussi, très certainement, un sursaut d’honneur qui le pousse à justifier ses actes et prouver aux siens, mais à lui-même surtout, qu’il n’a pas toujours été un lâche.

Dans ce journal, Hans Fallada revient sur sa vie passée entre les années 1933 et 1939 : sa vie d’écrivain, après la prise du pouvoir par Hitler, pendant l’instauration de la dictature, le déclenchement et la poursuite de la guerre ; ses relations avec son éditeur et ami Ernst Rowohlt, ses ennuis avec des voisins jaloux qui le dénonceront à la Gestapo, les fréquentes visites – non souhaitées - de SA chez lui (Hans Fallada était très surveillé par les services du Ministre Goebbels), la vie quotidienne et les dangers à parler trop fort quand on a bien bu ou à se livrer imprudemment au premier venu, les mesquineries diverses... mais sans oublier aussi les rires, voire les joies de jouer de bons tours aux autorités.

Hans Fallada évoque ses relations avec d’autres personnalités. Outre Ernst Rowohlt, nous l’avons vu, il  narre ses rencontres avec Ernst von Salomon, les acteurs Emil Jannings et Mathias Wieman, les dessinateurs E.O Plauen et Alfred Kubin ou encore Hans-Joachim Geyer qui inspira le personnage de Negermeier, dans le roman Loup parmi les loups.

Comme il a été dit plus haut, Hans Fallada évoque à plusieurs reprises ses « relations » avec les autorités nazies, pas seulement lors des contrôles ou lors d’arrestations arbitraires, suite à des dénonciations, mais encore lorsque ces relations impactent son travail en tant qu’écrivain (qui vont du conseil "appuyé" pour se conformer aux nouvelles normes aux menaces à peine déguisées. Fallada précise d'ailleurs qu'il n'est pas le seul visé et rappelle ce que la presse ou les autorités disent sur lui, ou sur ces confrères écrivains, éditeurs et artistes qui ne suivent pas "la ligne du Parti". Le sort fait aux juifs, les persécutions à la limite de l’absurde, dont ils font l’objet sont également évoquées à de nombreuses reprises. L'ambiance détestable de ces années sert de trame de fond à son récit. Sans cela, comment expliquer/justifier le reste?

Enfin, dans ces pages Hans Fallada revient sur le choix qui a été le sien de rester en Allemagne (4) – cette fameuse « émigration intérieure » tellement incomprise, y compris de nos jours. Hans Fallada s’explique et longuement : il est resté en Allemagne et n’a pas choisi, comme d’autres intellectuels, de fuir à l’étranger. On aurait pu s’attendre ici à de grandes envolées, voire à des excuses fallacieuses. Rien de cela. Hans Fallada reste fidèle à lui-même et déclare, sans fausse modestie : « Et puis, je suis Allemand (…), j’aime l’Allemagne et je n’aimerai pas vivre ni travailler en aucune partie du monde qui ne soit pas l’Allemagne. » Et on peut le croire, ce n’est ni par confort ni par sympathie pour les "nouveaux maîtres" qu'il est resté. Il en veut pour preuve ce que la presse nazie dit de lui : [Hans Fallada est]« le goy des défilés juifs de la Kurfürstendamm », un « pornographe de la pire espèce ».

Durant toutes ces années, il est à son pays frappé par le malheur, et fidèle également à  à ce peuple des petites-gens, qu’il a toujours aimé et décrit dans ses romans mais, en aucun cas, fidèle à ses dirigeants ni à ceux qu’il appelle les « violettes de mars » (5).

D'ailleurs, Hans Fallada raconte avoir été invité à fuir à l’étranger, pour s’y mettre à l’abri, avec sa famille. Pourtant il déclinera l’offre, pensant à tous ces humbles à qui jamais personne ne proposera de fuir et qui n’auront d’autre choix que de subir la dictature. Courageux ? le terme n’est pas approprié. Plutôt décidé à partager le sort des siens, dans l'épreuve, et porter témoignage également. Ainsi cette conclusion d'un long développement : « nous sommes le sel de la terre, et si le sel disparaît, qui pourra encore saler ? »

 

Pour conclure, et nous rejoignons en partie ce que soulignent Sabine Lange et Jenny Williams dans la postface, Hans Fallada, en écrivant ce journal, du fait même qu’il raconte son passé et non pas la vie quotidienne dans la prison psychiatrique, cherche sans doute à comprendre tout ce qui s’est passé et à justifier en partie ses faits et gestes sous la dictature, évitant de se compromettre avec les maîtres de l'heure, mais acceptant malgré tout de le faire quand il n’était plus possible pour lui de faire autrement et qu’un refus de plus de sa part aurait eu des conséquences terribles, non seulement pour lui (ce qu’il aurait, à la grande rigueur, été prêt à accepter) mais, et surtout, pour sa famille, ce qui aurait fini de le détruire.

Ce récit est aussi une profonde analyse où Hans Fallada tente de comprendre ce qui s’est passé autour de lui (la dictature, la guerre) et en lui (il est resté, mais a « fui » dans son travail). C’est à ce titre que ce journal est d’une importance capitale pour mieux comprendre quel homme fut Rudolf Ditzen, quel écrivain fut Hans Fallada (6).

Au-delà d'un livre de souvenirs, c’est encore une fois le talent du romancier qui transparaît à toutes les pages : maîtrise parfaite de l’art de la narration. En lisant En mi pais desconocido, très souvent, on en vient à oublier qu’il s’agit d’un journal, pensant tenir dans les mains un des ces romans d’actualité (Zeitroman) qui ont fait le succès d’Hans Fallada, tellement la réalité semble être inventée et la fiction être plus réelle que jamais.

On pourrait presque parler de magie

 

Alain C. (août 2012)

 

Notes :

(1) Le dimanche 8 octobre 1944 : la raison « officielle » de cette permission est qu’il a demandé à pouvoir retourner chez lui prendre des nécessaires à son travail sur le scénario. La raison « officieuse » est, outre de sortir le manuscrit, de tenter de renouer des relations avec sa femme. Hans Fallada ne sera définitivement libéré que le 13 décembre 1944.

(2) Cf. les liens suivants :

Sabine Lange : http://www.sabinelange.com/

Jenny Williams : http://www.dcu.ie/info/staff_member.php?id_no=1996

(3) Les éditions Aufbau Verlag (Berlin) signalent que les droits pour le livre In meinem fremden Land - Gefängnistagebuch 1944 ont été acheté par Denoël. Il faut donc s’attendre à une parution prochaine en France – ce livre ayant été écrit en même temps que Le Buveur (déjà paru chez Denoël en 2010) il en est un complément indispensable !

(4) voir notamment la journée du 24 septembre 1944.

(5) les violettes de mars désignent tous ceux qui rejoignirent massivement le parti national-socialiste, en mars 1933, pour tenter de grappiller des avantages, de bons emplois, etc et faisaient preuve d’un zèle surprenant, se proclamant eux-mêmes nazis à 150% !

(6) Il est important de signaler que les évocation de l’alcool sont quasiment absentes du récit, sauf quelques allusions épisodiques à la consommation de vins lors de repas entre amis. A cela, on peut apporter l’explication suivante : Hans Fallada écrit au même moment – entendons sur les mêmes feuilles de papier – son roman Le buveur, récit poignant, quasiment autobiographique (toujours ce mélange inextricable réalité/fiction). Il n’avait pas à doubler son récit dans ses souvenirs, le roman condensant à lui seul tout ce que Hans Fallada pouvait penser de l’alcool, tout ce que l'alcool représentait pour lui. A ce titre, nous saluons au passage l’initiative des éditions Seix Barral d’avoir fait paraître simultanément les deux ouvrages.

 

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