21/03/2009
EUGENE DABIT ET HANS FALLADA
[archives]
EUGENE DABIT LECTEUR DE HANS FALLADA
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Présentation : C'est tout à fait par hasard, en faisant des recherches sur le site Gallica de la BNF que nous avons retrouvé cette recension de « Et puis après ? » par Eugène Dabit. Eugène Dabit est surtout célèbre pour son roman « Hôtel du Nord » (Denoël, 1929), pour lequel il reçu le Prix du roman populiste, et qui fut porté à l'écran par Marcel Carné en 1938. Ce succès du roman « Hôtel du Nord » eu deux conséquences inattendues, aux effets conjugués, et sans lesquelles la littérature du XXe siècle aurait eu un tout autre visage :
- - Louis Ferdinand Destouches commencera la rédaction de son roman 'Voyage au bout de la nuit' pensant y trouver un moyen de payer son terme. «J'ai écrit pour me payer un appartement... C'est simple: je suis né à une époque où on avait peur du terme! Maintenant on n'a plus peur du terme. Je me suis dit: c'est le moment du populisme. Dabit, tous ces gens-là produisaient des livres. Et j'ai dit: moi, je peux en faire autant! Ca me fera un appartement et je n'aurai plus l'emmerdement du terme!... Sans ça je ne me serais jamais lancé.» (1).
- - En «raflant» à Gallimard Eugène Dabit et son «Hôtel du Nord», Rober tDenoël est enfin sur la bonne voie. Et ce succès «va lui apporter beaucoup plus : un vrai commanditaire, américain et riche de la fortune de sa mère. En avril 1930 est constituée la Société des Editions Denoël et Steele, au capital de 300.000 francs. Bernard Steele en fournit la moitié en numéraire, Denoël en marchandises, matériel, clientèle. Pendant deux ans ils vont publier des petits romans de débutants, des livres pour enfants, une collection d'ouvrages de psychanalyse, sans grands profits, jusqu'à ce qu'arrive le livre qu'attend tout éditeur, celui qui lance définitivement sa maison.»(2)
Remercions donc Eugène Dabit pour avoir été, même si indirectement, à l'origine d'une grande aventure littéraire.
Alain C. - 21 mars 2009
EUROPE - N°141 - 15 septembre 1934
Recension de : HANS FALLADA. - Et puis après ? (N.R.F., édit.).
On comprend pourquoi le livre bizarre de Kafka : Le Procès, n'a pas connu un grand retentissement ; on s'explique moins la non-réussite d'un livre comme celui de Hans Fallada (non réussite, si l'on se prend à songer aux succès prodigieux de certaines traductions). L'histoire de Pinneberg et de sa femme « Bichette », c'est bien celle que peuvent connaître aujourd'hui, en France, des milliers de gens. Peut-être, de la vivre, cela les rend-il moins curieux d'apprendre quelle fut celle de leurs voisins allemands ? Il semble cependant qu'ils puiseraient dans cette œuvre quelque clarté sur le mauvais sort qui les guette.
L'histoire de Pinneberg et de sa compagne, ce n'est rien d'autre que la vie des employés de Paris, de ceux qui ne croient pas faire partie du prolétariat, qui prennent le métro à une heure différente des ouvriers, lisent d'autres journaux, s'habillent avec plus de recherche, parfois habitent d'autres quartiers ; mais qui, à leur insu, n'en subissent pas moins les mêmes lois. Le livre de Hans Fallada pourrait leur ouvrir les yeux ; il coûte 15 francs, le prix de deux ou trois séances de mauvais cinéma - mais peut-être ne veut-on connaître que de médiocres rêves ? - Bref, Pinneberg, c'est un vendeur d'un grand magasin de confection berlinois (après avoir été comptable, en province). Il doit, comme tout vendeur, avoir de bonnes manières, un langage fleuri, et surtout faire journellement son chiffre d'affaires, un chef de rayon est là pour le lui rappeler. Hors de ses heures de service, il ne doit pas davantage oublier qu'il appartient à la maison Mandel. Non ? « C'est ce qui vous trompe, dit à ce propos le directeur. La maison Mandel vous nourrit et vous habille, c'est elle qui vous permet de vivre. Nous avons le droit d'attendre de vous que, dans tout ce que vous faites, vous pensiez d'abord à la maison Mandel. » Voilà. A Paris, comme à Berlin. Et dame, par ces temps de chômage...
Ce n'est pas seulement ce métier de vendeur, avec ses roueries, ses servitudes, qui nous est montré ; mais, plus parfaitement, plus profondément, l'existence d'un ménage berlinois, de ceux qu'on appelle, à Paris : français moyens, hommes de la rue, ou en littérature : personnages populistes. Oublions ces étiquettes. Hans Fallada nous raconte par le menu les gestes et les pensées de ses deux jeunes héros. Ils s'aiment, c'est leur seul vrai bonheur ; puis ils ont un gosse, qui ne diminue point ce bonheur. Au-delà de ce cercle ce n'est qu'inquiétudes, tourments, horizon noir. L'auteur n'a pas choisi de nous montrer ses héros dans des circonstances dramatiques, la vie quotidienne l'est assez, qui exige peut-être le seul vrai courage, silencieux, anonyme. Cela est admirablement senti, exposé, développé, dans cette œuvre. Pas de gémissements, pas de cris, pas de révolte. Mais si Pinneberg et sa femme se débattent d'une façon qu'on ne peut appeler grande ni courageuse, ils n'en sont pas moins, peu à peu, il est vrai, conscients de leur destin ; et plus émouvants de ne point désespérer d'une vie que des hommes leur ont rendu si précaire et si morne. Le livre entier n'est rien d'autre que le compte-rendu presque journalier de cette vie. On fait son budget, on l'équilibre, de l'imprévu bouleverse vos calculs ; on voudrait s'acheter un manteau neuf, mais il faudra attendre encore plusieurs saisons ; se passer un caprice, alors il faudra se priver de viande ; avoir du beurre... et le loyer ? Un sou est un sou. On imagine que cela ne permet pas de grandes envolées. C'est l'existence que mènent des milliers d'êtres, ceux qu'on appelle les humbles, les petites gens, et qui sont des hommes ; une existence que pourtant ils souhaitent voir durer. Oui, Pinneberg et sa Bichette ne font pas de plus beaux rêves. Mais ce n'est là qu'un rêve. Un mois vient où Pinneberg ne réalise pas son « chiffre », où il commet quelques maladresses, il est renvoyé, il doit faire tamponner sa carte de chômage. Un soir, dans une des rues luxueuses de Berlin, tristement, il erre...
« Et soudain, devant cette vitrine, devant ce Schupo, devant ces honnêtes gens, Pinneberg comprend tout. Il comprend qu'il est en trop, que sa place n'est plus ici, qu'on le chasse à bon droit : il n'a plus qu'à disparaître. L'ordre et la propreté : c'était pour autrefois. Le travail et le pain assuré : c'était pour autrefois. Faire son chemin et espérer : c'était pour autrefois. La pauvreté n'est pas seulement misérable, la pauvreté est coupable, la pauvreté est dégradante, la pauvreté est suspecte. » Un Schupo le frappe, Pinneberg rentre chez lui en sanglotant. « Oh, Bichette, bégaye-t-il, qu'est-ce que qu'ils on fait de moi... les Schupo... ils m'ont poussé du trottoir, ils m'ont chassé. Comment puis-je encore regarder quelqu'un ? » - « Mais tu peux me regarder, murmure Bichette. Toujours, toujours ! »
Le livre se termine ici. Ce que fut la vie de demain, l'avenir de Pinneberg et de sa femme, Hans Fallada nous le laisse à deviner. Aujourd'hui ressemble à hier ; aujourd'hui, encore, c'est l'hitlérisme, et pour des Pinneberg, après tant de duperies, de nouveaux mensonges, brillants, sonores exaltés, qui leur feront accepter l'idée d'une guerre comme le seul avenir possible. Il est vrai que la mort est au bout, vite, et ça c'est un avenir sûr.
Je ne sais si le livre de Hans Fallada est un grand livre, mais je souhaite à chacun de le lire. Sans doute n'a-t-il point les richesses qu'on désire trouver dans un grand livre. Il s'agit de richesses d'ordre littéraire - d'ailleurs, la traduction ne nous laisse pas, hélas, deviner la saveur, la bonhomie, la malice, et le charme de l'esprit de Hans Fallada. Mais on ne songe jamais trop vivement qu'elles font défaut tant on approche de près l'existence d'un couple dont le malheur se répète indéfiniment sur une partie de ce monde.
Eugène DABIT
Notes :
- (1) - entretien avec Madeleine Chapsal, L'Express n°312, 14 juin 1957, pp. 15-18. Repris dans Madeleine Chapsal, Les écrivains en personne, Paris, Julliard, 1960 pp. [73]-93, ainsi que dans Cahiers Céline, 2, nrf, Paris, Gallimard, 1976, pp. 18-36.
- (2) In Henry Thyssens: Robert Denoël, un cinquantenaire oublié, sur le site consacré à Louis Ferdinand Céline (lien). Sur Robert Denoël, on consultera le site très riche que lui consacre Henry Thyssens: Robert Denoël, Editeur.
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