01/02/2020
Le cauchemar : Prologue (nouvelle traduction)
La dernière demeure de l'écrivain Hans Fallada où il écrivit Le cauchemar.
Hans Fallada
Le Cauchemar
Traduit de l’allemand par Laurence Courtois
Denoël
*
Prologue
L’auteur de ce roman n’est aucunement satisfait de ce qu’il a écrit dans les pages suivantes, de ce que le lecteur a maintenant imprimé sous les yeux. Lorsqu’il rédigea le plan de ce livre, il s’imaginait décrire, à côté des défaites, des maladies, du découragement – à côté de tous ces effets secondaires inévitables que la fin de cette terrible guerre a apportés à chaque Allemand –, il s’imaginait qu’il pourrait aussi décrire des moments de sursaut. Des actes nobles et courageux, des heures pleines d’espoir – cela ne lui fut pas donné. Ce livre est resté pour l’essentiel un rapport médical, l’histoire de cette apathie qui s’est emparée de la majeure partie, et surtout de la plus décente partie du peuple allemand en avril 1945, et dont beaucoup de gens ne se sont pas encore libérés aujourd’hui.
Le fait que l’auteur n’ait rien pu y changer, qu’il n’ait pas pu apporter plus de légèreté et de gaieté à ce roman, ne tient pas qu’à sa manière de voir, cela tient surtout à l’état général du peuple allemand, qui aujourd’hui encore, plus d’un an et trois mois après la fin des hostilités, est toujours sombre.
Si le roman est, malgré ces défauts, proposé au public, c’est parce qu’il est peut-être un document humain1[1], un rapport le plus fidèle possible de ce que les Allemands et les Allemandes ressentirent, souffrirent, accomplirent, d’avril 1945 jusqu’à l’été suivant. Peut-être que dans les prochains temps, déjà, on ne comprendra plus cette paralysie qui influença de façon si funeste cette première année après la guerre. Une histoire médicale donc, pas une œuvre – mes excuses ! (L’auteur lui non plus ne pouvait pas sortir de sa peau, l’auteur lui aussi était « paralysé ».)
Il a été question à l’instant de « rapport fidèle ». Mais rien de ce qui est raconté dans les pages qui suivent ne s’est passé comme on l’a écrit ici. Un livre comme celui-ci ne peut pas, déjà pour des raisons de place, dire tout ce qui est arrivé ; il a fallu constamment faire des choix, il a fallu inventer, les faits rapportés ne pouvaient être utilisés sous leur première forme et durent être modifiés. Cela ne change rien au fait que tout ceci est pourtant « vrai » : tout ce qui est raconté ici pourrait s’être déroulé ainsi et est aussi un roman, donc une création de l’imaginaire.
La même chose vaut pour les personnages présentés : tels qu’ils ont été décrits ici, aucun n’existe en dehors de ce livre. Ces événements ont suivi les lois de la narration, et il en fut de même pour les personnages. Certains sont inventés, d’autres sont composés à partir de plusieurs.
Ce ne fut pas réjouissant d’écrire ce roman, mais il semblait important à l’auteur. Il garda toujours à l’esprit, entre les sursauts et les défaites, ce qui fut vécu intérieurement et extérieurement après la fin de la guerre. Presque tous avaient perdu la foi et finirent pourtant par retrouver un peu de courage et d’espoir – voilà de quoi il est question ici.
H.F.
Berlin, août 1946
[1] En français dans le texte.
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