test

Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

21/02/2011

Relectures : Seul dans Berlin

Nous vous proposons ici la traduction de l'article d'Helen Dunmore paru dans The Guardian (édition du 8 janvier 2011) et des réactions qu'il a suscité (courrier des lecteurs). L'original (en anglais) a été également publié sur ce site :

http://etpuisapres.hautetfort.com/archive/2011/01/22/hans...

 oOo

 

Hampel_Qangel cover.jpg

Relecture : Seul dans Berlin par Hans Fallada (1)

Helen Dunmore

The Guardian, 7 janvier 2011.

Écrit en deux mois en 1946, Seul dans Berlin, livre à succès qui narre la résistance d’un couple d’ouvrier au régime nazi, pose des questions morales profondes. Helen Dunmore revient sur ce roman extraordinaire.

« Que pouvez-vous vouloir de plus ? »

 

Hans Fallada a écrit Seul dans Berlin entre septembre et novembre 1946, dans l’Allemagne de l’Est d’après-guerre. Il dit à sa famille qu’il venait d’écrire « un grand roman » ; il devait mourir quelques mois plus tard (2), affaibli par des années d’addictions à la morphine, à l’alcool et autres drogues, avant que le roman ne soit publié sous le titre de Jeder stirbt für sich allein (Chacun meurt seul). A l’âge de 18 ans a échappé de peu à une mise en accusation pour meurtre à la suite de la mort d’un ami au cours d’un pacte suicidaire manqué, et ceci entraîna la première d’une longue série d’incarcérations dans des institutions psychiatriques. Vers la fin de sa vie il fut de nouveau poursuivi pour avoir, en état d’ivresse, menacé avec un pistolet Anna Issel, de laquelle il avait récemment divorcé. Dans n’importe quelle société, Hans Fallada aurait lutté, mais il eu la malchance suprême d’être né à une époque où les écrivains qui voulaient échapper à la vigilance de la Gestapo pouvaient choisir entre la compromission, le silence ou l’exil. Le choix de Fallada le conduisit d’un côté à son arrestation par la milice nazie et, d’un autre, à des contacts étroits avec Goebbels. Sa carrière d’écrivain fut instable et remplie de paradoxes, tout comme sa vie fut vécue en intimité avec l’humiliation et la terreur.

La texture extraordinaire de Seul dans Berlin vient de la façon dont tout est observé et représenté comme « par en bas », depuis cette dynamique de l’humiliation et de la terreur, et ainsi la représentation est tranchante, exacte, ironique, dévastatrice. C’est l’histoire vue depuis les rues mal famées, et de ce point de vue, l’Allemagne nazie en guerre est à la fois intensément rigide et intensément instable. Un millier de règles et d’interdictions ont remplacé la loi, tandis que la justice est détruite par un appel insistant aux éléments les plus sordides, cruels et lâches de la nature humaine.

Hans Fallada a basé Seul dans Berlin sur un cas réel, celui d’Elise et Otto Hampel, un couple d’ouvrier berlinois, qui commencèrent leur propre campagne contre le régime nazi à la suite de la mort du frère d’Elise sur le front de France. Pendant plus de deux ans, les Hampel écrivirent et distribuèrent secrètement des cartes postales dans Berlin, pressant la population allemande de réaliser que la guerre d’Hitler serait leur mort et qu’il n’y aurait jamais de paix sous les Nazis. En septembre 1942 ils furent arrêtés, jugés par un « Tribunal du Peuple » et exécutés (3). Après la guerre, Fallada eut accès au dossier de la Gestapo concernant cette affaire, avec les dépositions ainsi que des exemples de cartes postales. Le dossier contenait aussi des photographies qui semblent avoir influencé Fallada pour les descriptions du physique du couple fictif, Otto et Anna Quangel (4).

Les Hampels sont réellement morts seuls, tout comme ils avaient agi seuls. D      ans le roman, Otto et Anna méditent sur leur isolement et s’interrogent sur la portée de leur résistance. Est-ce que leurs cartes postales ont été ramassées et lues, ou bien ont-elles toutes été détruites ou portées à la police immédiatement ? Leurs actions ont-elles eu un quelconque effet que celui de conduire à la destruction de leur propre vie et des vies de ceux qui les entourent ? La façon dont Fallada traite de ces questions est très subtile. La question morale est profonde : si une action  semble n’avoir pas d’effet, en ce qu’elle est ignorée ou inaperçue de ceux à qui elle était destinée, alors peut-on considérer qu’elle a eu un effet en soi ? Et, si oui, qu’elles en sont les retombées et où s’est-elle manifestée ? Fallada est préoccupé par l’idée de choix moral. Otto et Anna ont choisi de se libérer eux-mêmes de leur acquiescence au régime nazi, et plus tard, quand chacun d’eux se verra donner en secret des ampoules de cyanure afin de prendre les devants sur leurs exécuteurs, ils choisiront, pour des raisons différentes, de ne pas s’en servir. Même ceux qui se sont abandonnés au nazisme jusqu’au point de devenir gardiens de la prison de Plötzensee, surveillant les prisonniers condamnés à mort, sont toujours capable de faire le bien au lieu de faire du mal : « Tout le monde  mari. (5) »

D’autres, cependant, n’avaient pas seulement perdu mais avaient volontairement abandonné leur pouvoir de faire aucun choix qui auraient pu les orienter en direction de l’humanité. Ainsi quand le procureur Pinscher rencontre un prisonnier en route vers la guillotine, il est conduit, « dansant » comme une marionnette, « d’un pied sur l’autre d’émotion » a demander une peine plus sévère. Le Directeur de la prison est forcé de réagir « Que pouvez-vous vouloir de plus ? Nous ne pouvons tout de même pas faire plus que l’exécuter ! (6)»

« Que pouvez-vous vouloir de plus ? » Voici la question qui hante toutes les sociétés totalitaires. Que peuvent-ils vouloir de plus que le pouvoir de tuer, de détruire à volonté, de disposer du sort et de l’avenir de leurs concitoyens ? Mais bien entendu ils veulent plus. L’idée qu’un criminel condamné puisse être capable de s’échapper dans l’éternité est tout sauf supportable pour le frustré Pinscher, qui est obligé d’admettre qu’au delà de la mort il ne peut plus y avoir ni interrogatoires ni condamnations. En fait, plus de pouvoir. Deux autres personnages, une vieille femme juive et une jeune femme allemande qui vient juste de perdre son bébé, comprennent cela et choisissent la mort comme moyen d’échapper à leurs bourreaux. Seul dans Berlin, avec son insistance sur la solitude à l’heure des choix moraux et sur le sentiment d’abandon humain de ceux qui sont persécutés, force le lecteur à revenir sur de difficiles questions. Qu’est-ce que, dans une telle solitude et dans une telle société, nous ferions nous-mêmes ? Ressemblerions-nous aux Quangel, ou ressemblerions-nous à ceux qui rédigèrent leurs dépositions ? Fallada montre très clairement comment la terreur, utilisée d’office, corrompt rapidement les individus, le voisinage, les villes et la nation toute entière.

Anna et Otto Quangel sont des figures délibérément peut reluisantes, voire peu sympathique. Otto est un contremaître dans l’âme, inflexible, qui travaille dur et met la pression sur ses collègues ouvriers pour plus de productivité. Sa droiture est aussi rude que son profil d’aigle. Anna est soumise à lui, mais ce sont ses mots qui l’incite à l’action, quand elle se met à l’accuser « Toi et ton Hitler ! » après que leur fils unique ait été tué sur le front. Cependant, ces deux là trouvèrent la volonté, les moyens et le courage de faire ce que peu d’Allemands firent. Ils savaient parfaitement ce qui allait leur arriver s’ils se faisaient prendre et ils s’en chargèrent en se concentrant sur les aspects techniques de la fabrication et de la distribution de cartes postales, et avec l’espoir que ce qu’ils allaient faire ferait la différence : « Il dit, tout à coup dégrisé : - peut-être y en a-t-il déjà beaucoup qui pensent comme nous. Des milliers d’hommes doivent déjà être tombés. Peut-être y a-t-il qui déjà beaucoup qui écrivent des cartes de ce genre… Mais qu’importe, Anna… ! Qu’est-ce que ça peut nous faire ?... C’est nous qui devons faire cela. (7) »

C’est nous qui devons faire cela… C’est mot son le cœur du livre. Le « nous » ici ce sont les Quangel, mais il ne peut empêcher d’impliquer aussi tous ceux qui lisent la phrase. Le « nous » auquel Anna et Otto appartiennent est le « nous » auquel nous, lecteurs, devrions pour le moins aspirer à appartenir. Ou bien si nous n’y aspirons pas, nous appartenons alors à un autre « nous » qui est tout aussi décrit de façon criante dans le roman : parmi les criminels qui dénoncent pour le profit les pillages et les complots, parmi ceux qui délibérément restent aveugles, les remplisseurs de formulaires, les conformistes du régime ou ceux veillent scrupuleusement aux respect des quotas, que ce soient des quotas d’armements ou de têtes dans les paniers. Et puis, « devons », alors que tout dans l’entourage des Quangel leur dit que, au contraire, ils ne doivent pas. Tous les impératifs sont contre eux, mais ils continuent d’agir avec la certitude que ce « nous » auquel ils appartiennent ne peut faire autrement. Cela ne signifie pas qu’ils ne doutent pas eux-mêmes ; Ils doutent, souvent mais raisonnablement, mais leur certitude, comme la foi, est apte à admettre le doute sans s’effondrer.

Fallada donne des exemples de petites actions, invisible aux autres, qui pourraient apparaître comme des échecs mais qui créent un cadre pour subvertir les cadres mis en place par le nazisme. Le cas Quangel est l’action-clé, centrale, mais il y en a d’autres. Eva Kluge, une postière, rend sa carte du Parti et coupe tout contact avec son fils Karlemann quand elle apprend qu’il a fait circulé au bar du coin un photo de lui en train d’assassiner un enfant juif.  Jusqu’alors, elle avait pu se cacher derrière des euphémismes. Karlemann est sans doute dans la SS et « de sales rumeurs circulent autour », mais Eva sait que « Karlemann ne ferait pas ce genre de choses. » Mais contrairement à beaucoup d’autres, elle n’essaye pas de raccommoder le voile de son ignorance lorsque celui-ci vint à être déchiré.

Seul dans Berlin est l’œuvre d’un homme sentant sa mort prochaine et pourtant rien ne pourrait être plus plein de vitalité. Pas un seul personnage dans le roman représente un type ou ne rempli un rôle convenu. Chacun est bizarre, exact, singulier, depuis le gamin des rues qui braille des insultes et forme une bande pour châtier un père abusif, jusqu’au vieux juge Fromm, lisant son Plutarque tandis que son voisin juif, à qui il essaye de sauver la vie, vit dans la terreur. Il y a l’aumônier qui a oublié la peur car, comme les prisonniers, il côtoie la mort, et l’inspecteur de Police Escherich, dont le séjour dans les « caves » de la Gestapo lui ont appris que « quelque soit sont aspect extérieur, quels que soient ses succès et les honneurs qu’ils lui vaudront, il n’est absolument rien. Un coup de poing suffit à le transformer en un être insignifiant, terrifié, gémissant et tremblant.(8) » Les personnages déferlent à un point tel qu’il semble presque impossible que ce roman, qui les amène à une vie violente, atroce, ait pu être écrit en moins de deux mois. Mais peut-être que Falalda l’avait tenu en réserve pendant très, très longtemps.

Otto parle librement pour la première fois lorsqu’il se retrouve sur le banc des accusés, ayant plaidé coupable mais devant satisfaire le sadisme du juge en écoutant des torrents d’insultes avant d’être condamné :

« Je ne pense pas qu’il va durer encore longtemps votre Reich pour mille ans », dit Quangel, en tournant vers le président sa tête d’aigle.

L’avocat eu un sursaut de frayeur… (9) »

Bien sûr que l’avocat sursaute ; il s’y doit, car il fait partie de la machine, tout comme le juge doit hurler à l’abus et le gendarme doit attraper violemment Anna par l’épaule. Le discours libre d’Anna est plus subtil. Quand le Procureur essaye de l’humilier en lui demandant avec combien d’homme elle a couché avant son mariage, cette femme profondément conventionnelle répond calmement : « quatre-vingt sept ».

Hans Fallada avait raison : il a écrit un grand livre, dans des circonstances et une période de temps qui font de son achèvement un cas presque miraculeux. Mais c’est le double miracle de la traduction qui nous offre le roman de Fallada en anglais sous le titre de Alone in Berlin. Michael Hoffmann est un bon poète, dont l’ouïe excellente et sa maîtrise éloquente des points de transition entre les deux langues rendent le texte aussi puissant que réaliste.

Helen Dunmore

 

 

Courrier des lecteurs

 

Seul dans Berlin est moralement compromis

The Guardian, 11 janvier 2011

Le panégyrique du roman de Hans Fallada Seul dans Berlin par Helen Dunmore (voir The Guardian, du 8 janvier) renforce l’impression confuse qu’il reflète la réalité de la vie, et de la résistance, sous le Troisième Reich. Elle fait allusion aux propres positions politiques ambigües de Fallada, mais cela mérite d’être clarifié afin de saisir son réel projet.

Après la prise du pouvoir par les nazis, Fallada refusa de suivre les autres écrivains dans l’exil (10), et accepta une commande de Josef Goebbels pour écrire un roman glorifiant leur grandeur. Même s’il se trouva dans l’incapacité de répondre aux exigeants standards d’adulation de Goebbels, ce qui lui attira des ennuis, il fit la même choses lorsque les communistes furent au pouvoir, dans l’après-guerre.

Seul dans Berlin fut commandé par Johannes Becher, le responsable culturel suprême du Parti Communiste allemand, un épouvantable apparatchik qui étranglait l’authentique liberté de pensée et la créativité. Il donna à Fallada les éléments du dossier sur les Hampel et lui suggéra l’intrigue. Sa triste influence, ainsi que la faillite morale de Fallada, expliquent l’éloge sonnant creux d’un futur socialiste, à la fin du roman.

Dunmore, qui a brillamment écrit sur la vie sous Staline, applique le terme « totalitaire » pour souligner le courage de ceux qui ont résisté à Hitler. Mais l’Allemagne nazie n’était pas l’URSS. Quand s’ouvre le roman de Fallada, en 1940, le régime connaissait alors une marée de popularité. La résistance qu’il décrit fut en réalité Don Quichottesque, mais pas pour les raisons auxquelles pense Dunmore. A l’époque, la majorité des Allemands avait volontairement embrassé l’idée raciste de la « communauté populaire » et tiraient profit d’un empire rapace.

Fallada offrit aux Allemands un alibi à leur complicité envers le nazisme. Quand il y a de véritables héros à louer comme le Groupe Baum ou la famille Scholl, nul besoin de ce roman de troisième classe, totalement compromis, par un écrivain de seconde classe.

David Cesarini (Londres)

 

Seul sous une dictature

The Guardian, 15 janvier 2011

 

En tant que biographe anglaise de Hans Fallada j’aimerai préciser que c’est tout simplement faux qu’il « accepta une commande de Goebbels pour écrire un roman glorifiant » la grandeur du Parti Nazi (Seul dans Berlin est moralement compromis, Courrier, 11 janvier 2011). La décision de Fallada de rester en Allemagne imposa, bien sûr, des compromis, comme la réécriture de la fin de Gustave-de-Fer en 1938, sur commandement de Goebbels. Il paya pour cette décision par une rechute dans l’abattement, une série de dépressions nerveuses, un séjour dans une prison psychiatrique et une mort prématurée en 1947.

Fallada ne fut ni nazi ni un communiste mais le chroniqueur de la vie ordinaire des hommes et des femmes dans une période turbulente de l’histoire allemande.

Le point mis en avant dans Seul dans Berlin est l’importance de chaque acte de résistance à la tyrannie, que ce soient le fait de groupes ou d’individus. Fallada n’était que trop conscient de son incapacité à aller au-delà d’actes de résistance individuels. Dans la dernière lettre à sa mère, il écrit : « Je sais que je suis faible, mais pas mauvais, jamais mauvais. Mais ce n’est pas une excuse. C’est assez pitoyable à cinquante-trois ans de n’être devenu rien d’autre qu’un homme faible, d’avoir si peu appris de mes erreurs ». Cette prise de conscience est pour Fallada une grâce qui le rachète et qui l’empêche, lui ou Seul dans Berlin, d’être moralement compromis.

Professeur Jenny Williams (Université de la Ville de Dublin)

 

 

·       Fort heureusement, la plupart d’entre nous n’a pas besoin d’un professeur d’université pour décider si un l’œuvre d’un auteur est de troisième classe ; on se fait sa propre idée après avoir lu le livre. Pour moi, la force du livre de Fallada réside dans la description de la décadence morale qui s’empare d’un état totalitaire ; et de la force de caractère qu’une minorité d’individus possède lorsqu’ils décident de résister. Le roman de Fallada ne tourne pas autour de la résistance organisée mais autour de petits actes d’opposition au nazisme, qui néanmoins – s’ils viennent à être découverts – peuvent entraîner la mort de ceux qui les ont perpétrés. Le fait que ses héros furent des ouvriers ordinaires, pour moi, font de ce livre ce qu’il est de mieux.

La suggestion de David Cesarini que Seul dans Berlin offrit aux Allemands un alibi à leur complicité envers le nazisme est non seulement fausse mais cruelle ; des dizaines de milliers d’Allemands comme Otto et Elise Hampel, dont l’histoire à servi de base de départ au livre, ont menés d’innombrables actes de résistance, payant souvent de leur vie ou de longues peines d’emprisonnement. Leur histoire est une histoire qui, le plus souvent, n’a pas été racontée hors d’Allemagne. En lisant la lettre de David, je me demande si la raison à ça n’est pas que ce furent avant tout des gens de la classe ouvrière, tandis que la base principale supportant les nazis étaient les basses moyennes classes et les professions des classes moyennes.

Mick Hall (Grays, Essex)

 

·       David Cesarini a raison : Hans Fallada fut compromis moralement. Il n’a pas quitté l’Allemagne comme d’autres grands écrivains allemands le firent. Il a essayé de vivre au sein du système nazi. Mais je me demande si même Klaus Mann aurait pu écrire Seul dans Berlin : simplement parce qu’il n’était pas là. Fallada écrit depuis l’intérieur ; il connaît très bien ce monde pourri, dangereux de l’Allemagne nazie. Et oui, il ne fut pas un héros comme les enfants Scholl où les membres du Groupe Baum. Mais devrions-nous seulement accorder de la valeur à des livres écrits par des auteurs à la moralité irréprochable ?

Sûrement, le livre doit parler de lui-même et être jugé sur comment il rend bien la réalité de la vie des gens à une époque où les choses allaient très bien, comme Cesarini le dit justement, pour ceux qui n’étaient pas juifs, ou malades mentaux, ou socialistes, ou qui seulement s’abstenaient de franchir la ligne. Mais ce que Fallada décrit est un couple de petite gens qui se dresse, inefficacement, contre un système qui les écrase sans pitié, comme il a écrasé le Groupe Baum, comme il a écrasé Hans et sophie Scholl (11). Il décrit la réalité de la terreur nazie, et, comme Helen Dunmore le dit très justement, montre la terrible solitude de ceux qui agissaient « quand tout dans la société où vivent les Quangel leur dit que… Ils ne doivent pas ».

Leaslie Wilson (Reading, Berkshire)

 

- - - -

Notes :

 

Toutes les notes sont de la rédaction du weblog « et puis après ? »

 

(1) Traduction de l’article « Rereading : Hans Fallada’s Alone in Berlin », paru sur le site de The Guardian en janvier 2011.

Ref : http://www.guardian.co.uk/books/2011/jan/07/hans-fallada-alone-berlin-rereading)

En français, Hans Fallada, Seul dans Berlin, Plon, Coll. Feux Croisés, Paris, 1967. Trad. : Alain Virelle et André Vandevoorde. Puis réédition chez Denoël (2002)et Gallimard, coll. Folio (2003). L’auteur chronique la traduction anglaise de Michael Hoffmann parue sous le titre Alone in Berlin.

(2) Hans Fallada (Rudolf Ditzen) meurt le 5 février 1947, à l’hôpital de Berlin-Niederschonhausen.

(3) le 8 avril 1943, à la prison de Plötzensee.

(4) Nous en profitons pour signaler une étude en allemand [que nous n’avons pas lue] sur le rapprochement entre les époux Hampel et les héros du roman de Hans Fallada : Manfred Kuhnke , Die Hampels und die Quangels. Authentisches und Erfundenes in Hans Falladas letztem Roman. Neubrandenburg: Federchen-Verlag, 2001. (disponible via le site : www.fallada.de).

(5) Traduction de Alain Virelle et André Vandevoorde, Plon, (p. 568).

(6) « What more can you want ? » : la traduction de Alain Virelle et André Vandevoorde, (Plon, p. 565) ne restitue malheureusement pas cette question telle qu’établie par la traduction anglaise.

(7) Traduction de Alain Virelle et André Vandevoorde, Plon, (p. 171).

(8) Traduction de Alain Virelle et André Vandevoorde, Plon, (p. 414).

(9) Traduction de Alain Virelle et André Vandevoorde, Plon, (p. 520).

(10) l’auteur laisse entendre que tous les écrivains auraient émigrés à l’arrivée au pouvoir des nazis. On sait que bien évidemment il n’en est rien. Nombre d’entre eux choisirent l’option douloureuse de l’émigration intérieure, avec tous les dangers possibles – dont celui de passer pour un suspect ce qui, après le déclenchement du second conflit mondial pouvait s’avérer hautement risqué.

(11) l’insistance des lecteurs a ne parler que des Scholl ou du groupe Baum est curieuse. Il y eut de très nombreux groupes d’opposants ou de résistants, sans compter les initiatives isolées, parfois très courageuse. Il faut aussi distinguer les « motivations » de ces groupes. Les communistes ou les juifs avaient des raisons immédiates de résister, étant directement menacé d’internement (donc de mort lente) ou de condamnation à mort après un jugement sommaire. Cela n’enlève certes rien à leur courage devant lequel nous nous inclinons. Mais il y a je crois chez les résistants issus des gens ordinaires (le groupe de la Rose Blanche, les époux Hampel, les groupes chrétiens – protestants et catholiques, etc) une dimension plus profonde. Ceux-là auraient pu tout simplement se taire et attendre… Ils ne l’ont pas fait. Au nom de la dignité de l’homme, ils se sont dressés contre la tyrannie.

D’autre part, il est facile, en 2011, de distribuer les bonnes notes (aux écrivains qui ont choisi l’exil, aux vrais résistants,…) ou les mauvaises (à Hans Fallada par exemple). Ceux qui choisirent de rester en Allemagne – alors qu’ils avaient la possibilité de fuir, ce que tous n’avaient pas, on l’oublie trop souvent – tout en ne partageant pas la nouvelle ‘weltanschauung’ du système, ont peut-être risqué gros. Comme le dit Leslie Wilson… Ils sont restés pour vivre les choses de l’intérieur. Pour témoigner auprès des générations futures aussi.

D’autre part, ainsi que l’ont souligné Gilbert Merlio (Les résistances allemandes contre Hitler, Tallandier, Paris, 2001) et Barbara Koehn (La Résistance allemande contre Hitler : 1933-1945, Presses universitaires de France, 2003), à partir de l’ouverture des hostilités (septembre 1939), les Autorités et la population allemande vont considérer les résistants comme des traîtres à la Patrie. C’est toute la difficulté qu’ont rencontré les Allemands qui ont voulu résister – fallait-il trahir ? - et ce qui rend leurs actes – fussent-ils une dérisoire campagne de carte postale comme celle tentée par les époux Hampel – hautement héroïques. Des traîtres… C’est ainsi que longtemps aussi furent considérés les héros de l’opération Walkyrie qui faillirent réussir, le 20 juillet 1944, dans leur tentative d’assassiner Adolf Hitler. Ils ont été depuis réhabilités et sont désormais célébrés comme des héros… Mais cela n’est pas allé de soi. C’est vrai aussi qu’il s’agissait de résistants conservateurs, ce qui n’étaient pas non plus forcément bien vu de la part des Alliés qui avaient craint, en cas de succès de l’opération Walkyrie, d’avoir à négocier la paix avec un gouvernement conservateur alors que ces mêmes Alliés venaient d’opter pour une capitulation de l’Allemagne sans conditions. Est-ce pour cela qu’au soir du 20 juillet les noms des conspirateurs furent égrenés par la BBC ?

 

Bibliographie sélective sur la résistance allemande

 

BERBEN, Paul - L'attentat contre Hitler

BERNARD, Henri - L'autre Allemagne. La résistance allemande à Hitler 1933-1945

DREXEL, Joseph - Voyage à Mathausen - Le Cercle Résistance de Nuremberg

KOEHN, Barbara - La résistance allemande contre Hitler 1933-1945

MERLIO, Gilbert - Les résistances allemandes contre Hitler

RITTER, Gerhard - Echec au dictateur

SANDOZ, Gérard - Ces Allemands qui ont défié Hitler. 1933-1945

SCHOLL, Inge - La rose blanche. Six allemands contre le nazisme

SCHRAMM (Von), Wilhelm - Les généraux contre Hitler - Le 20 juillet à Paris

VON HASSELL, Fey - Les jours sombres

VON HASSELL, Ulrich - Journal d'un conjuré. 1938-1944

HAECKER, Theodor - Le livre des jours et des nuits

WEISENBORN, Günther - Une Allemagne contre Hitler