Gringoire (1941) - recension de Loup parmi les loups

GRINGOIRE

14^e Année. — N° 671 - 17 octobre 1941

Loup parmi les loups, roman, par Hans FALLADA.

Juillet 1923. Un certain matin, le dollar vaut 414.000 marks. Provisoirement, car chacun sait qu’il vaudra le double quelques heures plus tard. Et c’est tout le drame : par le chemin facile de l’inflation, un grand pays descend aux abîmes. Les collectivités modernes, à base industrielle et mercantile, n’ayant trouvé de meilleur liant pour les classes que l’argent, que la monnaie, la décomposition monétaire entraîne la décomposition sociale, et chez l’individu soudain libéré. la décomposition morale. Dans cet état de misère collective, amené par la misère de caractère des dirigeants, un terrible reclassement des valeurs s’opère, et peu d’hommes gardent leur qualité, leur virtu. M. Hans Fallada nous en présente un : Pagel, parmi, une belle collection de fantoches et d’épaves.

Démobilisé, l’aspirant Pagel rompt avec sa classe – la bourgeoisie – dont il a reconnu l’inaptitude à sortir d’elle-même, à surmonter la défaite et sa défaite. Habitué par la guerre à ne pas composer, il continuera de vivre dangereusement, au jour le jour. De ce « voyage au bout de la nuit » il reviendra par une route terrestre – terrienne : un de ses anciens chefs, qui dirige une exploitation agricole, fait de lui son adjoint. Et de Berlin, des villes où l’inflation provoque des émeutes, ceci nous mène aux campagnes où règnent le pillage et l’anarchie, où les possédants se raccrochent à une légalité nominale et faussée, où les organisations armées secrètes entretiennent une demi-terreur. Tout cela fourmille de scènes remarquables, de personnages bien campés. Et Pagel en est un de premier ordre. Comme les héros symboliques de Destin allemand, de Kasimir Edschmid, il choisit, dans le désarroi national, de faire tâche d’homme, mais joyeusement et sur sa terre natale. Il y avait beaucoup de Pagel en Allemagne.

On ne peut pourtant, devant ces onze cents pages, crier au chef-d’œuvre : il y a bien des scories, et le mouvement initial, rapide, bien marqué, s’étire ensuite en dialogues un peu trop longs, en incidentes où parfois l’action s’égare. Au surplus, on compte les traductions où la lettre le cède à l’esprit, et celle-ci est parfois un peu trop littérale pour notre goût. Mais, vivant, souvent passionnant, ce roman éclaire l’un des moments les plus tragiques de la vie allemande, moment que bien peu de Français ont su juger objectivement, et qui portait en germes un avenir en quoi nous ne voulions voir qu’un égoïste et paresseux reflet du présent. (Albin Michel). — Louis Guiral.