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09/02/2012

Un petit cirque nommé Monte (suite et fin)

IV

Le laboratoire n’est pas un laboratoire moderne en verre, propre, clair et aéré, c’est la turne d’un misérable inventeur qui se noie dans une mer d’ustensiles, d’idées, de gravats et de saleté. A une table recouverte d’un linoléum rongé par les acides est assis une sorte de gnome à barbiche blanche, une boule grasse, une espèce de nain aux cheveux roux.

Levant ses faibles yeux gris vers les entrants :

                    Je ne veux pas vous écouter. Faites vos cochonneries tout seuls.

Stuff dit :

                    Je voudrais seulement emm… quelqu’un, monsieur Schabbelt. Si vous le permettez.

Le nain regarde attentivement une plaque de zinc à la lumière :

                    L’autotypie ne vient pas.

                    Peut-être le trait est-il trop fin monsieur Schabbelt ?

                    Qu’y comprenez-vous ? Sortez, ai-je dit ! Que vient faire ici Tredup à nous empoisonner ? Dehors ! – trop fin – voyez-vous ça… !! Tu n’es pas bête, Stuff. C’est peut-être possible. Qui veux-tu emm… ?

                    Les Rouges.

                    Non. Cinquante-cinq pour cent de nos lecteurs sont des ouvriers et de petits employés. Les Rouges ? Jamais ! Même si nous sommes de droite.

                    C’est une très bonne histoire, monsieur Schabbelt.

                    Raconte-là, Stuff. Cherche-toi une place. Mais que Tredup file. Il pue…

                    J’aimerais mieux faire autre chose, grogna Tredup.

                    Sottise ! tu adores ça ! Fiche le camp !

                    Nous avons encore besoin de lui. Après l’histoire.

                    Alors mettez-vous là-bas dans le coin sombre. Raconte, Stuff.

                    Vous connaissez Kallene le chef de la police ? Naturellement. Après la révolution, il était rouge. S.P.D. ou U.S.P.D. Dans tous les cas il a été récompensé. Le plus bête de tous les policiers est devenu chef de la police.

                    Je le sais.

                    Et après sa nomination il quitte le parti, redevient le farouche national-allemand qu’il était autrefois.

                    Et… ?

                    Eh bien ! le soir à la mairie il surveille les femmes de ménage. Quand les bureaux sont vides, monsieur Schabbelt.

                    Et… ?

                    Il y a là quelques femmes qui ne sont pas mal. Quand elles frottent le plancher on aperçoit des perspectives ; vous vous imaginez…

                    Tu te l’imagines en tout cas, Stuff.

                    Naturellement Kallene n’est pas le seul auquel ce spectacle ait donné des idées.

                    Abrège, Stuff, qui l’a vu ?

                    Le bourgmestre rouge. Le gros Gareis ! [1] C’est sur son bureau que ça s’est passé.

                    Et… ?

                    Eh bien ! monsieur Schabbelt ! En voilà une question ! À  présent Kallene a de nouveau le livre du parti.

                    On pourrait en tirer quelque chose, opine Schabbelt. Mais pas pour nous. Pour le K.P.D. peut-être. Tredup peut la débiter ailleurs.

                    Monsieur Schabbelt !

                    Je n’y peux rien, Stuff. Voyez comment vous pouvez remplir autrement nos colonnes avec des histoires locales.

                    Mais si nous n’avons jamais le droit de couvrir quelqu’un de boue ! Le journal devient affreusement terne. On nous appelle déjà petite feuille de chou.

                    Qui cela ?

                    N’est-il pas vrai, Tredup ?

Tredup sort de l’ombre, très fielleux.

                    Petite feuille graisseuse. Feuille de rebut puante. Pompe à m… Feuille à huis clos.

Stuff élève la voix.

                    Abîme d’ennui. Vesse d’escalier. Caquet. Ceacum. Taupe. Lis et dors.

Tredup reprend :

                    Je le jure, monsieur Schabbelt. Ce matin encore un annonceur m’a dit…

Le patron est revenu à ses clichés de zinc :

                    Qui donc voulez-vous emm… ?

Tous deux :

                    Le cirque Monte.

Et Schabbelt de répondre :

                    Si vous voulez. Pour que ceux qui ne font pas de publicité prennent peur.

                    Merci, monsieur Schabbelt.

                    Bon. Mais, je vous en prie, laissez-moi en paix cette semaine. Je n’ai pas le temps.

                    Ne craignez-rien. Au revoir.

 

V

Stuff est assis à sa table et regarde la femme qui dort toujours. Sa figure à pris un peu de couleur, ses mèches blanches défaites lui tombent dans le visage. Il songe : « La bouteille de cognac est presque vide. Quand j’ai renvoyé Wenk il puait le schnaps. Il en arrive à boire le schnaps de la patronne ivre. Je le lui cacherai. »

Puis considérant à nouveau la femme : « Je lui ferai faire du café, du café fort et chaud, pour qu’elle le boive quand elle se réveillera. Je vais sonner Grete. »

Il regarde le bouton de sonnette près de la porte, puis la feuille de papier blanche devant lui. « Après tout, à quoi lui servirait du moka ? À rien du tout. »

Il tourne le bouton de la radio. Une voix clame :

« Attention ! Attention ! Attention ! Vous allez entendre le service de presse social-démocrate ! Attention ! »

                    Ah ! Zut ! Remplirai-je enfin mes colonnes.

Il s’attable, réfléchit et écrit :

« Un petit cirque appelé Monte a élu domicile sur l’emplacement de jeux de la jeunesse et il a donné hier soir sa représentation d’ouverture. Le spectacle n’a rien de sensationnel et ne sort jamais de la médiocrité. Après ce que le cirque Kreno et le cirque Stern ont permis récemment à nos concitoyens d’admirer, les numéros du programme Monte ne sont que de pauvres vieilleries, à peine bonnes pour des représentations enfantines. »

Il se relit :

                    Ça ira je pense.

Il sonne.

                    Que l’on mette ça immédiatement à la composition. Et dites au metteur en pages de la passer en tête de la chronique locale. Je vais à la police judiciaire et au Tribunal. Si je trouve quelque chose je téléphonerai. Bien. Et puis dites à Grete de préparer du café fort pour madame Schabbelt.

Demeuré seul il considère la femme qui dort, puis la bouteille de cognac. Il la prend et la vide.

                    Ce soir je m’enivrerai et de courrai l’amok. Oublier ! Oublier ! Quel est le dernier des métiers de la terre : Rédacteur d’une feuille de province.

Il regarde tristement par-dessus ses lunettes et s’en va lentement vers la police judiciaire et le Tribunal.

 

 



[1] Dans la réalité, il s’agit de Monsieur Lindeman, maire de Neumünster.

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