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19/11/2011

Actualité : description de l'asile par Hans Fallada

Publié récemment sur le blog d'Arthur Delnatte cette note : http://arthurdelnatte.wordpress.com/2011/11/17/hans-falla...

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Hans Fallada, description de l’asile

L’après-midi fut interminable. La seule petite distraction fut la « promenade » où nous fumes conduits dehors, pour deux heures, de deux à quatre heures de l’après-midi. « Dehors », c’était un petit jardin de pelouse. Le soleil brillait, c’était une belle journée d’été. Et malgré l’éclat du soleil, ce n’était pas beau à voir. Je ne parle pas ici du cadre, des murs hauts, rouges et bruns ou bien crépis d’un ciment gris de mort, hérissés de barbelés, ni des barreaux aux fenêtres, ni des barreaux aux fenêtres, ni des vitres condamnées – et tout cela peut déjà retirer tout son éclat à la plus belle journée d’été. Le ciel bleu n’est pas pour toi, prisonnier, si bleu pourtant ; le soleil, prisonnier, ne brille pas pour toi, si chaud pourtant sur ta peau. Il te manque l’étendue du paysage. Tu es seulement de passage, un hôte du ciel, de l’air frais et du soleil, tes minutes sont comptées, prisonnier. Ton monde se cantonne à cette maison triste et à l’écho sinistre, cette maison morte, où jamais aucun rire n’éclate librement, tu es devenu étranger au soleil, prisonnier.

Mais ce n’est même pas cela. Je veux parler de mes compagnons d’infortune.qui maintenant, arrachés à l’obscurité du crépuscule, sont assis sur un banc, trainant leurs pieds nus ou leurs sabots de bois sur le chemin de sable. Comme la lumière du soleil est impitoyable, elle révèle ces visages qui ne sont plus que de lointains souvenirs disparus, des reflets de souffrances et de deuils, de bestialité et de désespoir fou. ! Je ferme les yeux et je les vois à nouveau devant moi, debout, assis, trainant leurs pieds comme je les ai déjà vus faire des centaines de fois, et comme je les verrai peut-être encore mille fois.

(…)

Et puis il y a cet autre bonhomme que j’ai déjà un peu évoqué, le schizophrène qui entend des voix et dont ce monstre de Lexer a impitoyablement frappé la pauvre tête triste contre les barreaux. – il divague dans ses pantoufles dont il manque tout l’arrière, il tourne en rond, il tourne en rond. Mais soudain il s’arrête, il lève le bras. il menace le ciel, les murs et les barreaux, il voit un ennemi invisible qu’il injurie maintenant de la façon la plus grossière.

(…)

J’en reviens maintenant à mes expériences personnelles. C’est encore ma première journée en maison de santé. ; ma première promenade vient juste de se terminer, j’ai eu un premier aperçu de l’endroit et j’ai noué mes premières connaissances, je me retrouve maintenant dans le long couloir sordide, qui même par la plus belle et la plus claire journée d’été reste sordide. Heure après heure, j’y fais les cent pas, désœuvré, torturé et pourtant engourdi. Je suis content quand l’infirmier en chef  ou un gardien passe de temps en temps, avec un malade pour porter le linge à la buanderie, ou bien avec un paquet de vieux dossier. Il se passe quelque chose ! Ce qui se passe ne me concerne pas, et en réalité il ne se passe rien du tout mais je suis enfin détourné de moi-même et de mon destin incertain : je ne veux plus rien avoir à faire avec moi-même, je n’en peux plus ! Parfois, je me poste devant la seule fenêtre à laquelle j’ai accès et je regarde à l’extérieur, au-delà du mur hérissé de barbelés, vers la liberté qui se trouve là-bas, dehors, étincelante de soleil. Devant moi, encore une fois « dehors » de grands arbres s’élèvent. Ce sont manifestement des tilleuls ; leur ombre porte sur une chaussée, des autos filent en toute hâte, je vois des jeunes filles passées en pédalant sur leurs vélos, dans leurs robes claires – mais je détourne la tête et je m’enfonce à nouveau dans le long couloir sordide. Cette vie dehors me torture, elle ne m’appartient plus, j’en suis exclu, je ne veux plus rien savoir d’elle ! Passez et partez donc, que le pays se vide de vous ! Que les arbres s’assèchent, que le sable souffle sur les prés et les champs, c’est un désert qui devrait entourer cette maison des morts, un désert sec et sans vie.

 Parfois j’entre aussi dans l’une des deux salles communes, dans la petite ou dans la grande, et j’y reste alors pendant cinq ou dix minutes, je m’assieds près de mes compagnons de souffrance. Compagnons de souffrance, ils ne peuvent pas souffrir autant que moi, leur destin a déjà été tranché, c’est l’incertitude qui me torture autant ! Certains dorment, la tête posée sur la table ; d’autres somnolent d’un air abruti ; un autre, un petit bonhomme mal ficelé, petit paquet complètement tordu et qui louche des deux yeux et qui a une tête en forme de poire tient un jeu de cartes d’une saleté invraisemblable ; il pose longuement une carte après l’autre, et l’observe longuement en souriant bêtement. Un autre a déplié un journal devant lui, ses yeux regardent au-dessus du journal et fixent le mur d’en face.

Hans Fallada, Der Trinker, le Buveur